La société du vieillissement constitue l’objet de recherches de la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Économiques (TDTE) de l’Institut Louis Bachelier, c’est une situation inédite, historiquement, inconnue ! De fait, l’augmentation de l’âge moyen ,et l’allongement de l’espérance de vie font que les citoyens passeront près d’un tiers de leurs vies en « retraite », ce n’était jamais arrivé dans l’histoire humaine.

Cette situation demande de repenser les équilibres et notamment ceux de la protection sociale pour éviter que les jeunes générations ne soient exclues ou au contraire que les seniors soient délaissés. Mais les problèmes intrinsèques au vieillissement compliquent et rendent très difficile l’analyse économique : jouer sur l’âge des retraites est difficile, jouer sur le montant des retraites est particulièrement délicat et s’apparente à un déni du contrat social, les variables qui peuvent être mobilisées sont ainsi rares.

La Chaire TDTE a lancé l’initiative d’un modèle permettant de modéliser les différentes options de protection sociale et peut donc présenter des résultats. Tous ces résultats et travaux montrent que les critères d’analyse doivent changer. À cet égard, la hausse des dépenses de santé n’apporte peu ou plus de croissance, mais augmente le bien-être. Par ailleurs, une des conditions du bien-être des personnes âgées est d’avoir une activité sociale, un engagement. De même pour les besoins de formation, qui sont vitaux dans une société vieillissante et qui demande aux jeunes actifs de s’adapter sans cesse à une offre de travail qui devient très technologique et polarisée.

Ce thème de la recherche sur le vieillissement est très vivace en France et à l’étranger. La Chaire a ainsi constitué un réseau d’Économie Internationale de la Longévité qui regroupe 20 centres de recherches en économie en France et qui fonctionne comme un réseau de partage de connaissances en lien avec des institutions comme l’OCDE ou des centres de recherches étrangers, cette préoccupation étant mondiale.

La Chaire continue d’explorer ces concepts à la frontière de la démographie et de l’économie et s’est donné quatre axes de recherches principaux. Le premier traite des retraites dont ce nouveau numéro des Cahier Louis Bachelier est une bonne illustration. Le deuxième thème porte sur la santé et sur les liens entre santé, bien-être, prévention et technologie. Un troisième axe de recherche concerne la transmission des patrimoines et le financement de la dépendance, c’est un sujet très vaste où nous avons obtenu quelques résultats préliminaires et, en particulier, la faisabilité de produits financiers adaptés. Enfin, un dernier axe de recherches est dédié au développement des compétences à tous les âges de la vie avec un accent particulier sur celles des seniors, afin de les rendre efficaces dans leurs engagements dans le monde associatif.

Ainsi la Chaire TDTE, soutenue par des partenaires financiers, vise à comprendre et à anticiper les évolutions des sociétés marquées par le vieillissement et trouver des réponses qui préservent une harmonie entre les générations.

Bonne lecture !

François-Xavier Albouy, Directeur de recherche de la Chaire TDTE

 

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« IL EST INDISPENSABLE D’UNIFIER LES 42 RÉGIMES DE RETRAITE EXISTANTS QUI PRODUISENT DES INÉGALITÉS »

Avec une carrière académique et professionnelle riche et variée (voir biographie), Jean-Hervé Lorenzi est l’un des économistes français les plus influents auprès des hommes et femmes politiques. À l’origine et organisateur des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, dont la 18e édition s’est déroulée en 2018, il est un observateur avisé des mutations économiques à l’oeuvre dans notre monde contemporain, notamment sur les problématiques démographiques et des retraites. Il faut dire que ces deux thèmes sont largement étudiés au sein de la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Économiques (TDTE) qu’il dirige. Pour l’ILB, il revient sur les grands enjeux de la réforme des retraites, qui est actuellement en discussions.

 

ILB : Quelles sont les principales failles de l’actuel système de retraite français ?
Jean-Hervé Lorenzi : L’enjeu principal est démographique, avec un ratio entre la population active et les retraités qui se dégrade et qui penche en faveur des retraités. C’est une tendance de long terme de la société française, qui devrait connaître son pic dans la décennie à venir.

Qui plus est, le système de retraite est en déficit depuis 2008. Il faut donc parvenir à un équilibre financier du système entre le montant des pensions et les cotisations demandées aux actifs occupés. Le système est, aujourd’hui, en léger déficit, mais le Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit une aggravation du déficit dans la décennie à venir, qui pourrait même devenir structurelle dans son hypothèse la plus pessimiste.

Par ailleurs, la complexité du système actuel, notamment sur le calcul des droits et le périmètre des caisses de retraite peut aussi apparaître comme un frein à la compréhension et à l’acceptation du système de retraite français par la population, générant des situations différentes et par conséquent une perception d’inégalités. Il est vrai que le marché du travail a évolué avec une mobilité entre type d’activité (salariée, non-salariée, fonctionnaires, régimes spéciaux, différentes typologies de contrats, etc.). Or, ce système très fragmenté peut rendre complexe le suivi de carrière. D’autant plus que la confiance des jeunes dans le système actuel est entamée, par les éléments que je viens de mentionner et la morosité de la conjoncture économique.

Pourquoi une réforme des retraites est-elle si indispensable et urgente ?
J-H. L : Comme je l’ai évoqué précédemment, le système est déficitaire depuis 2008 et pourrait le rester à long terme. Étant donné l’atonie de la conjoncture économique et les perspectives démographiques de vieillissement, il est important de réagir dès que possible pour sauvegarder notre système de retraite.

Pourquoi est-il si difficile de réformer structurellement les retraites en France ?
J-H. L : Il y a plusieurs aspects. Tout d’abord, conjoncturel pour une raison simple : c’est la première fois depuis 1945 que la France s’engage dans une réforme systémique de ses régimes de retraite.
Ensuite, les raisons structurelles :
– Premièrement, une transition vers un régime unique par points semble séduisante par les simplifications qu’elle apporterait. Cependant,la préparation du terrain favorable à la convergence des systèmes pourrait être difficile. L’exemple le plus frappant est ainsi celui des fonctionnaires, qui voient leurs retraites calculées à partir d’un salaire de référence ne prenant en compte que les 6 derniers mois de la carrière, alors que ce sont les 25 meilleures années pour les salariés du secteur privé.
– Deuxièmement, la question des polypensionnés, cotisants à plusieurs régimes différents, est aussi délicate. Dans l’hypothèse d’une transition progressive dans le temps, il faudrait pouvoir retracer l’ensemble de la carrière d’un assuré et être sûr que la réforme ne lèse pas l’une ou l’autre des catégories de retraités.
– Troisièmement, la question de l’inclusion des régimes complémentaires est peut-être encore plus épineuse. Leur intégration dans le régime serait sûrement difficile et philosophiquement contradictoire puisque les retraites complémentaires relèvent d’une logique de solidarité professionnelle, alors que les régimes de base sont fondés sur la solidarité nationale.
– Enfin, il y a toutes les questions liées aux paramètres de calcul des pensions : doiventils être identiques ou des différences peuvent elles être justifiées ? Un tel rapprochement du mode de calcul des pensions pourrait, en outre, conduire à s’interroger sur l’harmonisation des mécanismes de financement des régimes, la
question du plafond et la définition de l’assiette de cotisation incluant ou non des primes.

Quelle est votre opinion sur le recul de l’âge légal de départ à la retraite?
J-H. L : Sur le plan économique, l’augmentation d’un an de l’âge de départ à la retraite permettrait de mieux financer le système sans devoir rogner sur le niveau des pensions des retraités. Un tel recul engendrerait un gain d’environ 0,7 % du PIB, ce qui correspond environ au déficit du système des retraites selon le COR. Ces estimations dépendent évidemment des hypothèses sur les prévisions de croissance du PIB et des salaires, de chômage, de la productivité etc.

En revanche, socialement, il y a un vrai débat à reculer l’âge de départ à la retraite, car les espérances de vie ne sont pas égales parmi les différentes catégories de travailleurs, mais ce débat ne devrait pas avoir lieu au cours de cette réforme.

Dans la réforme en cours d’élaboration, un système par points serait privilégié. Cette réforme serait-elle plus favorable?
J-H. L : Dans un régime par points, un actif cotise chaque mois en achetant des « points » de retraite qui ont une valeur monétaire, par exemple 1 point égale à 1,50 euro. Lors de son départ à la retraite, le total de points est considéré dans le calcul de sa pension. En France, les régimes complémentaires fonctionnent par points. À noter que la valeur du point peut être revue par la caisse de retraite en fonction de la conjoncture économique et/ou démographique.

Sachant que le système de retraite actuel est obligatoire, par répartition et contributif, c’est à-dire, qu’il est proportionnel aux revenus, avec des cotisations par trimestres et un taux de remplacement à la retraite, c’est cette dernière dimension qui serait modifiée.

L’instauration d’un régime de retraite en « compte notionnels » comme en Suède est-elle réalisable en France ?
J-H. L : Si la France décidait de transformer les régimes de base en annuités en un régime en comptes notionnels, il serait nécessaire de mesurer deux éléments importants. D’une part, l’ampleur des besoins de financement permettant notamment de faire face aux conséquences du papy-boom sur le nouveau régime de retraite. Et d’autre part, comment les fonds de réserves pourraient-ils y répondre ? In fine, le débat est renvoyé au choix des différents leviers d’action permettant le retour à l’équilibre, comme le recul de l’âge de départ à la retraite ou l’augmentation des cotisations pour financer le système. Néanmoins, à l’inverse de la Suède, la France ne dispose pas de fonds de réserve pour financer une transition à la suédoise.

Comment rétablir la confiance de la population dans le système de retraite, en particulier chez les jeunes, qui sont les plus pessimistes?
J-H. L : Il y a trois actions prioritaires à mettre en place:
Informer. Il est, en effet, difficile d’apprécier et d’évaluer quelque chose, qui n’est pas compréhensible pour le commun des mortels. Il est donc nécessaire de vulgariser le système de retraite et d’expliquer ses mécanismes, afin que la population qui n’est pas directement et immédiatement « concernée » par la retraite, en particulier les jeunes, puisse mieux comprendre les enjeux.
Simplifier. Aujourd’hui, le système est très complexe pour une personne qui ne s’intéresse pas forcement au sujet.
Solidarité. Certes, il est important d’informer et de simplifier le régime de retraite, mais en gardant la philosophie générale de la construction d’un régime de protection sociale et de retraite. Le principe de solidarité doit être constamment rappelé et mis en avant.

Avec la multitude de régimes de retraite différents, les inégalités de revenus à la retraite sont parfois frappantes pour des métiers équivalents. Quels sont les régimes à fusionner prioritairement?
J-H. L : Les régimes à fusionner prioritairement sont ceux du public et du privé, notamment ceux des fonctionnaires et des salariés, qui rassemblent la grande majorité des individus et représentent aussi des contradictions structurelles importantes, notamment sur les modes de calcul des pensions.

Étant donné l’atonie de la conjoncture économique et les perspectives démographiques de vieillissement, il est important de réagir dès que possible pour sauvegarder notre système de retraite.

Le nécessaire délai de convergence entre les différents régimes n’est-il pas menaçant pour que toutes les parties prenantes adhèrent à la réforme ?
J-H. L : Dans toute réforme systémique des retraites, la phase de transition est particulièrement délicate à traiter en raison des nombreuses problématiques qui se posent:
Quelle génération payera le prix de la réforme ? Qui sera concernée par cette dernière ? Comment garder et reconnaître dans le nouveau régime les droits acquis dans l’ancien ? Comment financer le déficit de l’ancien régime ?
La phase de transition est donc risquée, mais elle est également très importante.

Quels sont les leviers pour réussir cette fameuse transition entre les différents régimes?
J-H. L : Pour éviter un scénario de mécontentement des parties prenantes, il faudrait répondre à la question sur le type de rapprochement entre régimes à effectuer pour le cas de la France et plusieurs solutions existent:
– Une première option consisterait à maintenir l’existence des différents régimes de base en convergeant simplement les règles de calcul des pensions.
– Une deuxième option impliquerait la convergence des régimes de base au sein d’un seul régime unifié permettant d’accroître la mutualisation des risques.
– Une troisième option adopterait une logique de convergence verticale consistant à rapprocher les règles entre régimes de base et complémentaires.

Qu’en est-il pour les mécanismes de solidarité, comme le minimum vieillesse ou les pensions de réversion. Doivent-ils être également revus?
J-H. L : Ces sujets sont délicats à gérer, en raison de la forte hostilité de l’opinion publique. L’exécutif a tout de même tenté de rassurer sur certains points épineux en listant quelques « grands principes », comme : le maintien des pensions de réversion, de pensions minimums pour les bas salaires et les carrières hachées.

Idem pour « les interruptions d’activité » comme le chômage, l’invalidité, la maladie ou la maternité, pour lesquelles des points supplémentaires seront accordés. Du côté des avancées, la réforme changera les droits familiaux, avec une bonification « pour chaque enfant, dès le premier enfant » et non plus à partir du troisième, ce qui constitue un signal positif pour la démographie.

Pour conclure, quelle est votre recommandation prioritaire pour réformer les retraites?
J-H. L : À mon sens, il est indispensable de parvenir à mettre en œuvre l’unification des 42 régimes de retraites existants, qui produisent des inégalités entre les différents statuts et qui ne sont plus adaptés aux carrières professionnelles que l’on connaît aujourd’hui. Permettre à chacun, qui a cotisé d’avoir accès aux mêmes droits, quel que soit son statut me semble être la première clé d’un système des retraites viable et surtout adapté à notre temps. Dans ce sens, la réforme ambitionnée par les pouvoirs publics semble pertinente.

Jean-Hervé Lorenzi est titulaire de la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE). Il est également président du Cercle des Économistes, directeur de la rédaction de la Revue Risques et président du Pôle de Compétitivité Finance Innovation. Il intervient régulièrement dans les médias et il est l’auteur de nombreux ouvrages.

POURQUOI LA CONVERGENCE ET LA TRANSITION DU SYSTÈME DE RETRAITE CONSTITUENT DES CASSE-TÊTE ?

Si la réforme des retraites en cours de discussion vise à créer un régime universel où chaque euro cotisé ouvrira les mêmes droits pour tous, la convergence et la transition des 42 régimes existants s’apparentent à une gageure. De jeunes chercheurs reviennent sur ces aspects ô combien délicats à mettre en œuvre.

 

D’après les travaux en cours intitulés Convergence retraite: quelle transition de l’ancien vers le nouveau régime? et L’hétérogénéité des caisses de retraites, cartographie par analyse factorielle multiple, écrits par Hicham Belkouch et Mathieu Noguès, ainsi qu’un entretien avec eux.

Débutées fin 2017, les discussions entre Jean-Paul Delevoye et les partenaires sociaux sur la future réforme des retraites vont se poursuivre au moins jusqu’au premier trimestre 2019. Il faut dire que cette réforme est sans doute le dossier le plus épineux à gérer de la présidence d’Emmanuel Macron, nécessitant ainsi d’allonger la durée des concertations. « En France, culturellement, réformer les retraites de façon systémique est un sujet très délicat, car aucune réforme structurelle n’a été entreprise depuis 1945 », rappellent Hicham Belkouch et Mathieu Noguès.

À cela s’ajoute la faible confiance de la population dans le système de retraite pour cause de méconnaissance, comme le montrent les nombreuses enquêtes d’opinion sur ce sujet. Sans parler de l’équilibre financier du système qui est menacé par le vieillissement de la population française et la conjoncture économique morose, la réforme du système de retraite français pose deux grandes problématiques et non des moindres :

« Comment faire converger techniquement le système de retraite et unifier les 42 régimes existants ? Combien de temps doit durer la transition entre l’ancien et le nouveau régime, et à quel coût la financer ? », s’interrogent les chercheurs. Et d’ajouter: « La convergence et la transition des régimes de retraite constituent deux étapes indissociables de la future réforme, mais elles ont des enjeux différents ».

UN SYSTÈME DE RETRAITE COMPLEXE ET TRÈS HÉTÉROGÈNE
Avec 42 régimes, le système de retraite français est particulièrement éclaté. Cette forte dispersion ne participe pas à sa compréhension par les actifs occupés. Ces derniers cotisent à une ou plusieurs caisses tout au long de leur carrière selon leur statut professionnel : salariés, fonctionnaires ou assimilés, non-salariés (artisans, commerçants, professions libérales et agriculteurs).

Avec 42 régimes, le système de retraite français
est particulièrement éclaté. Cette forte
dispersion ne participe pas à sa compréhension
par les actifs occupés.

À côté de ces trois catégories, il existe également certains régimes spéciaux (RATP, SNCF, gaz et électricité). Sans oublier, la coexistence obligatoire des caisses de retraite de base et complémentaires, qui complexifie davantage la lisibilité du système et sa future réforme.

« Les paramètres techniques, comme les modes de calcul des pensions des différentes caisses de retraite vont devoir se rapprocher, notamment ceux du secteur privé et du public. Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens, comme l’acceptation de la convergence par les fonctionnaires dont les pensions sont calculées sur les six derniers mois de la vie active ou encore l’inclusion de leurs primes, sachant que les enseignants en ont très peu », remarquent les jeunes chercheurs. De même pour la question des polypensionnés, qui cotisent à plusieurs caisses de retraite, étant donné qu’en moyenne les Français cotisent à 3,1 caisses différentes au cours de leur vie active :

« La future convergence des régimes nécessitera de retracer l’intégralité des carrières des cotisants, afin de calculer leurs droits à la retraite. Dans cette optique, les différentes caisses de retraite devront communiquer leurs données entre elles, mais les carrières sont moins linéaires que par le passé, ce qui rajoute des difficultés supplémentaires », affirment Hicham Belkouch et Mathieu Noguès.

UNE CARTOGRAPHIE INÉDITE POUR MESURER L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DES RÉGIMES DE RETRAITE
Si l’attention médiatique porte souvent sur les différences entre les retraites du secteur public et celles du privé, cette vision est trop réductrice et ne suffit pas à saisir l’hétérogénéité globale du système de retraite. Pour y voir plus clair et appréhender l’ensemble des caisses de retraite et leurs dynamiques respectives, les deux chercheurs ont réalisé une cartographie inédite, qui porte sur 21 caisses de retraites, couvrant 99 % des cotisants en France.

« Notre modèle statistique permet de poser tous les paramètres financiers, démographiques et historiques des caisses de retraite étudiées, afin de faciliter la visualisation de la situation actuelle en identifiant leurs différences et leurs éventuelles ressemblances », affirment-ils. Ce travail a permis d’expliquer 55,7 % des différences entre les caisses de retraite et de cerner clairement les quatre grands groupes de cotisants composant le système : les salariés ; les agents du secteur public et régimes spéciaux ; les professions libérales ; les travailleurs agricoles et les indépendants (commerçants, artisans).

Un autre résultat plus surprenant indique que les caisses des salariés et des fonctionnaires sont relativement proches : « Les caisses des salariés et des fonctionnaires ne sont pas si éloignées sur le plan financier. Mais en simulant une retraite dans les modalités actuelles, qui restent encore très floues, leur convergence reste limitée car elles n’ont pas du tout les mêmes dynamiques démographiques », soulignent Hicham Belkouch et Mathieu Noguès, tout en ajoutant que: « Dans l’ensemble, nous avons constaté un phénomène de convergence des différentes caisses, mais qui n’est pas très fort. Par conséquent, la convergence parfaite ne sera pas atteignable: elle ne sera que relative, difficile et coûteuse. Dès lors, la question est de savoir comment optimiser cette convergence ? Une des pistes à étudier serait la mise en place d’une épargne retraite obligatoire. Par ailleurs, la convergence des équilibres financiers des différents régimes ne doit pas être l’unique préoccupation. La réalité démographique de chaque régime existant est également à prendre en compte même si son pilotage ne peut s’effectuer que par des leviers indirects ».

En moyenne les Français cotisent à 3,1 caisses de retraite différentes au cours de leur vie active.

LA RÉUSSITE ET LA DURÉE DE LA TRANSITION DÉPENDENT D’UNE RELATION DE CONFIANCE ENTRE LES CITOYENS ET LE SYSTÈME DE RETRAITE
Outre la convergence des multiples régimes en un seul, la problématique de la transition entre l’ancien et nouveau système est également compliquée à mettre en œuvre. Cette période consiste à absorber les cotisants de l’ancien régime vers le nouveau. Doit-elle être immédiate ou progressive dans le temps ?

Dans ce domaine, il n’y a pas de recette miracle et divers exemples internationaux existent. Ainsi, l’Allemagne et la Lettonie ont effectué une transition immédiate, qui consiste à basculer tous les actifs dans le nouveau régime. Toutefois, cette approche peut sembler pénalisante pour les personnes proches de la retraite. D’un autre côté, la Pologne et la Suède ont étalé leur transition sur plusieurs années, avec des affiliations et des modes de calculs différents. Par exemple, en Suède, qui a élaboré sa réforme en 1999, les générations nées avant 1938 relèvent de l’ancien régime, les générations nées entre 1938 et 1954 sont proportionnellement dans les deux systèmes et les générations d’après sont dans le nouveau système.

Cependant, une transition progressive n’est pas synonyme d’économie : « Plus la transition est longue et plus elle sera coûteuse, car la cohabitation de deux régimes augmente les coûts de gestion du système de retraite. Lorsque l’on regarde la Suède, elle a pu financer sa transition grâce à un fonds de réserves, mais la France ne dispose pas de ce même mécanisme », précisent les chercheurs.

Il est vrai que la France n’est pas un pays comme les autres en matière de réformisme :
« La France doit suivre sa propre voie. À l’étranger, les réformes ont fonctionné, car le degré de confiance dans le système était plus élevé, ce qui n’est pas le cas dans l’Hexagone. Or, il faudrait la rétablir, car la durée de la transition en dépend énormément », concluent Hicham Belkouch et Mathieu Noguès. Les futurs mois permettront de voir si les Français adhèrent au pacte social que constitue le système de retraite…

Hicham Belkouch est chargé de recherche à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE), spécialisé sur les retraites. Il est doctorant à l’université de Paris Nanterre, où il travaille sur l’extension de la couverture retraite à l’emploi informel (cas du Maroc).

Mathieu Noguès est chargé de recherche à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE), spécialisé sur les retraites et le patrimoine immobilier. Diplômé en économie à l’Université Paris-Dauphine PSL, il a travaillé dans la microfinance, la banque, dans le conseil en développement territorial.

Méthodologie
Les chercheurs ont réalisé une revue des expériences internationales en termes de convergence et de gestion temporelle de la transition des retraites, avant d’observer et d’analyser les facteurs spécifiques à la France, qui posent des difficultés. Dans un second travail de recherche, ils ont effectué une analyse factorielle multiple avec classification ascendante hiérarchique, afin d’analyser l’hétérogénéité des caisses de retraites en France.
Ils ont eu recours à des données institutionnelles et comparables permettant ainsi d’obtenir une approche complète des spécificités propres des différentes caisses de retraite françaises.

COMMENT RENDRE L’ÉQUILIBRE DES RETRAITES MOINS DÉPENDANT DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE ?

L’équilibre financier du système de retraite français est particulièrement dépendant de la croissance économique actuelle et surtout future. La crise de 2008 a fait prendre conscience de cette dépendance. Des chercheurs proposent des pistes pour inverser la situation.

 

D’après l’article Quelles options pour réduire la dépendance à la croissance du système de retraite français ? écrit par Didier Blanchet, Antoine Bozio et Simon Rabaté, ainsi qu’un entretien avec Didier Blanchet.

Le chantier de la réforme des retraites a redémarré, après les réformes successives de 1993, 2003, 2010 et 2014. Il faut dire que le système reste très complexe avec la cohabitation de 42 régimes différents. Et le vieillissement de la population ainsi que les doutes suscités par le faible rythme de la croissance économique constituent des problématiques très importantes pour son avenir et sa soutenabilité.

« Les réformes des trente dernières années ont été très importantes pour contenir le choc démographique qui se caractérise par la hausse continue de la proportion des retraités par rapport aux actifs. Sans aucune réforme, les dépenses de retraites auraient atteint près de 20 % du PIB en 2040, contre 12 % au début des années 2000 et environ 14 % aujourd’hui. Elles devraient se stabiliser à ce niveau dans le scénario médian du Conseil d’orientation des retraites (COR) », relate Didier Blanchet, « mais de nombreux problèmes subsistent, dont celui de la dépendance à la croissance ».

LA CRISE ÉCONOMIQUE DE 2008 A ACCENTUÉ LA DÉPENDANCE DES RETRAITES À LA CROISSANCE
C’est la crise de 2008 qui a attiré l’attention sur cette dépendance à la croissance économique. « La problématique initiale des retraites est démographique, mais, depuis la crise, le COR s’intéresse particulièrement aux effets des scénarios économiques en offrant des comparaisons systématiques de plusieurs scénarios de croissance. L’équilibre du système apparaît très dépendant du scénario retenu: excédents en cas de croissance supérieure à 1,5 %, hausse du déficit si elle est plus lente. Or, en pratique, la croissance a souvent été moins élevée qu’anticipée dans les scénarios médians. C’est une des raisons pour lesquelles il a fallu rouvrir régulièrement le chantier de la réforme, et ceci a contribué à éroder la confiance de la population envers le système », affirme Didier Blanchet. La réduction de cette dépendance est l’un des enjeux de la réforme qui est à l’étude.

Révélé par la crise de 2008, ce phénomène de dépendance a des origines bien plus lointaines. En matière de réformes, la population a surtout en tête les relèvements successifs de l’âge de la retraite, mais une autre mesure passée inaperçue auprès du grand public a été instaurée dès 1987 : l’indexation des retraites sur l’inflation, alors qu’elles suivaient l’évolution des salaires moyens auparavant. « Cette réforme a beaucoup contribué à restaurer l’équilibre financier de notre système, mais en le rendant en même temps très dépendant au rythme de croissance. La mesure n’est efficace que si les salaires augmentent suffisamment vite, elle est inefficace s’ils croissent peu », souligne le chercheur. Et d’ajouter: « L’objectif de notre travail a été d’explorer des scénarios qui permettraient de diminuer cette dépendance des retraites à la croissance, d’améliorer la lisibilité de notre système et de tenir compte de l’évolution de la pyramide des âges ».

PLUSIEURS SCÉNARIOS SONT ENVISAGEABLES
Les chercheurs ont ainsi étudié trois scénarios de réforme et observé leurs conséquences pour la résistance du système aux chocs économiques et démographiques :

– Le premier est la mise en place d’un système de retraite en « comptes notionnels », qui existe en Suède et en Italie. Cette réforme structurelle consiste à instaurer un système dans lequel chaque actif dispose d’un compte virtuel recueillant les cotisations, qui sont revalorisées chaque année par un taux de rendement, par exemple la croissance des salaires. Lors du départ à la retraite, le capital accumulé est transformé en pension en le multipliant par un coefficient de conversion. Ce dernier prend en compte deux paramètres : l’âge de départ à la retraite et l’espérance de vie de chaque génération au moment de la retraite. « Ce système a l’avantage d’éliminer la dépendance à la croissance économique, d’intégrer la hausse de l’espérance de vie chaque année et de rendre l’accumulation de droits plus lisible auprès des cotisants, car les droits acquis sont exprimés en euros. Ce système inclut des règles de pilotage fortes et quasi automatiques à long terme », explique Didier Blanchet.

– Le deuxième scénario consiste à généraliser le système par points qui est déjà en vigueur pour les retraites complémentaires et à en rationaliser le pilotage. Ce pilotage s’appuie sur deux paramètres : le prix du point et sa valeur de service, c’est-à-dire la valeur du point lors de la retraite. « En l’absence de choc démographique, il est préférable d’indexer la valeur de service des points sur les salaires, c’est ce qui permet d’éliminer la sensibilité à la croissance, car les pensions et les salaires évoluent alors de concert. En revanche, si le ratio des retraités sur les actifs augmente, il faut retrancher de cette indexation le taux de croissance du ratio retraités/actifs », explique le chercheur, « mais le risque est de déboucher à certaines périodes sur une indexation moins favorable que l’inflation et ce système est plus coûteux en régime permanent stabilisé puisque, hors chocs démographiques, il revient à l’indexation complète sur les salaires ».

– Le troisième et dernier scénario n’est pas structurel mais d’ordre paramétrique. En clair, le système de retraite actuel est conservé. Seuls certains paramètres sont modifiés pour qu’il ne soit plus dépendant de la croissance.

« Pour les retraites complémentaires, qui fonctionnent déjà par points, il suffit de reprendre les règles de pilotage proposées pour le système par points généralisé puis d’en trouver des équivalents dans les régimes de base par annuités. Néanmoins, on retombe sur les mêmes problèmes d’un risque d’indexation ponctuellement inférieure aux prix et d’un coût plus élevé en régime permanent. On ne peut éviter le second qu’en durcissant plus fortement le taux de remplacement à la liquidation », précise Didier Blanchet.

Parmi ces trois scénarios, le plus facile et le plus rapide à mettre en œuvre reste le troisième, car il ne remet pas à plat le système actuel. Mais les deux premiers scénarios de réforme structurelle apporteraient davantage de lisibilité aux cotisants, qui est justement l’un des objectifs de la réforme en cours d’élaboration. Toutefois, celle-ci va aussi devoir s’atteler au problème techniquement et politiquement complexe de la transition « Dans notre article, nous avons étudié et comparé des scénarios très théoriques de réformes rapides avec une mise en œuvre immédiate. Mais, en pratique, il faudra une période de transition entre l’ancien et le nouveau système, qui peut prendre plusieurs années ou décennies », conclut Didier Blanchet.

Didier Blanchet est économiste à l’INSEE et chercheur associé à l’Institut des politiques publiques, ainsi qu’à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE). Il est également membre du Comité de Suivi des Retraites. Docteur en économie de l’institut d’études politiques de Paris, il est aussi diplômé de Polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique.

Méthodologie
Les chercheurs ont utilisé un modèle de microsimulation pour projeter le montant des retraites à long terme (à horizon 2060) et son évolution sous différents scénarios de réforme. Ils ont mobilisé le modèle Pensipp, développé par l’Institut des politiques publiques. Il modélise les trajectoires professionnelles individuelles (évolution de carrière, chômage) et démographiques (mariage, décès, naissance…) sur un échantillon représentatif de la population française, ainsi que les départs en retraite et les droits associés.
Ces trajectoires sont simulées par tirages aléatoires au niveau individuel, la loi des grands nombres assure la robustesse des agrégats qui en sont dérivés.

COMMENT L’ÉPARGNE RETRAITE OBLIGATOIRE PERMETTRAIT-ELLE DE FINANCER LES RETRAITES À LONG TERME ?

Si le principe de retraite par répartition est l’un des piliers du système français, le vieillissement de la population constitue une source de déséquilibre importante pour sa soutenabilité à long terme. Des chercheurs ont simulé des dizaines de scénarios différents, en incluant notamment une part de capitalisation, pour maintenir le niveau des retraites à long terme.

 

D’après l’article Épargne retraite: modélisation de scénario de mise en place de l’épargne retraite, écrit par Audrey Desbonnet et Thomas Weitzenblum, ainsi qu’un entretien avec ce dernier.

À l’instar de nombreux pays développés, la France est un pays vieillissant, qui se caractérise par une hausse croissante du nombre de retraités par rapport au nombre de cotisants (les actifs occupés). Ainsi, d’après le rapport annuel 2018 du Conseil d’orientation des retraites (COR), le ratio entre les actifs occupés et les retraités a atteint, l’an dernier, 1,7, contre 2,1 en 2000. Et ce rapport est encore amené à se réduire dans les décennies à venir avec les départs en retraite progressifs des générations nées durant le baby-boom entre 1945 et 1975.

Avec ce contexte démographique peu favorable, le niveau futur des pensions de retraite sera forcément impacté par une baisse importante si le système actuel est maintenu. En clair, outre la réduction du niveau relatif des pensions, le recul de l’âge de départ à la retraite et le relèvement des taux de cotisation sont les seules options à disposition des pouvoirs publics pour garantir la soutenabilité du système de retraite français en l’absence de réforme d’envergure, estime le COR. Or, ces leviers sont politiquement sensibles à mettre en place et font l’objet d’intenses discussions entre les partenaires sociaux et le haut-commissaire chargé d’élaborer la nouvelle réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye.

LES COMPORTEMENTS MICRO-ÉCONOMIQUES DES MÉNAGES SONT CENTRAUX
En attendant de connaître les arbitrages, dans le courant de l’année 2019, qui détermineront la future réforme, la recherche scientifique, en particulier la Chaire TDTE, s’intéresse à cette thématique importante en établissant des scénarios alternatifs de réformes des prestations de retraite et/ou de financement du système.

« Notre dernier article de recherche est l’extension de travaux précédents que nous avons menés au sein de la Chaire TDTE. Notre objectif central est de décrire l’ajustement endogène du comportement d’épargne des ménages dans le temps. Dans notre modélisation, nous distinguons les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), qui ont des caractéristiques différentes en termes d’espérance de vie à la retraite, de taux de remplacement ou encore de profils de revenus d’activité », souligne Thomas Weitzenblum.

Pour ce faire, les chercheurs ont dû émettre des hypothèses de base forcément réductrices dans leurs modélisations. Parmi les principales, figurent notamment la rationalité des ménages qui épargnent pour anticiper une baisse de leur niveau de vie à la retraite, un début de vie active à 20 ans, la naissance d’un enfant à 30 ans, un risque de mortalité à partir de 50 ans basé sur l’espérance de vie ou encore un taux de rendement de l’épargne des ménages constant à 1,5 %.

« Notre modèle simule le comportement des agents face à divers types de risques, notamment de revenu d’activité. La résolution du modèle calcule la trajectoire de l’économie durant toute la transition vers une espérance de vie accrue, qui est la période entre la situation initiale en 2016 et finale au-delà de 2100. Parmi les conditions initiales prises en compte, figure la pyramide des âges actuelle », explique Thomas Weitzenblum.

L’ALLONGEMENT DE LA DURÉE D’ACTIVITÉ LIMITE LA BAISSE DES PENSIONS
Dans un de leurs multiples scénarios, dit de référence, les chercheurs ont supposé que le système de retraite serait à l’équilibre à toute date grâce à la modulation à la baisse des taux de remplacement à la retraite. Autrement dit, l’équilibre financier du système est obtenu en réduisant proportionnellement les pensions de retraite. Dans ce même scénario de référence, l’âge de départ à la retraite est repoussé à 64 ans en 2040.

« La forte réduction des taux de remplacement de l’ordre de 22 points de pourcentage jusqu’en 2050 s’explique par l’allongement de la durée de vie, ainsi que des cohortes plus nombreuses arrivant à la retraite sur plusieurs décennies. L’allongement de la durée d’activité permettrait d’atténuer la chute des futures pensions », détaille le chercheur.

De fait, les simulations d’un allongement d’activité à 64 ans en 2040, puis à 66 ans en 2050 dans un autre scénario alternatif, ne réduiraient les retraites que de 5 points à long terme. Toutefois, le report de l’âge de départ à la retraite ne ferait pas que des heureux parmi les catégories les plus vulnérables : la PCS des ouvriers serait ainsi pénalisée, car elle a une espérance de vie à la retraite moins élevée que les autres PCS. L’instauration d’un mécanisme de redistribution à destination des personnes les moins favorisées permettrait de limiter ces inégalités.

UNE DOSE DE CAPITALISATION COLLECTIVE OBLIGATOIRE PROCURE DES GAINS À LONG TERME
Dans un autre scénario qui se dégage de l’étude, les chercheurs ont simulé l’instauration d’un fonds de capitalisation collectif obligatoire permanent qui n’ouvre pas de droits individuels. À long terme, la taille du fonds serait telle que les intérêts bruts correspondraient à 10 % des prestations retraite à livrer.

« Pour qu’il soit efficace, le fonds doit dégager un taux de rendement suffisant, disons d’environ 3 % par an. Ce scénario suppose également une surcotisation pendant les 40 premières années, qui engendrerait des effets de redistribution intergénérationnelle. Par hypothèse, cette hausse serait davantage supportée au début de la transition, puis le taux de cotisation redescendrait progressivement pour revenir, en 2056, à son niveau initial de 2016 », détaille Thomas Weitzenblum. Certes, en début de période, la consommation et l’épargne des ménages diminueraient, en raison de la hausse des cotisations, mais à long terme, les retraites auraient moins baissé, ce qui limiterait l’intérêt à épargner pour la retraite et donc favoriserait la consommation et la croissance. Cependant, le fonds de capitalisation impacterait négativement les cohortes les plus âgées, proches de la retraite, car elles subiraient la surcotisation sans forcément en recueillir les bénéfices.

« Aucun scénario ne peut être bénéfique à l’ensemble de la population, mais une combinaison astucieuse d’un fonds de capitalisation collectif obligatoire et d’un report d’âge de départ à la retraite permettrait de limiter raisonnablement le nombre de perdants durant la phase de constitution du fonds », admet Thomas Weitzenblum, qui nuance « en cas de rendement de l’épargne publique plus faible, la proportion de perdants durant les premières décennies s’accroît très fortement, ce qui invite à une certaine prudence ».

Thomas Weitzenblum est professeur d’économie à l’université du Mans et chercheur associé à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE). Docteur en sciences économiques, ses travaux portent sur la prise en compte de l’hétérogénéité dans les modèles macro-économiques. Il s’intéresse particulièrement à l’analyse de la formation des inégalités, du patrimoine, la réforme des systèmes de retraite, de l’assurance-chômage et de la dette publique.

Méthodologie
Les chercheurs ont effectué des simulations numériques pour quantifier les comportements d’épargne des ménages en intégrant plusieurs dimensions d’hétérogénéité et établir ainsi plusieurs scénarios de réforme des retraites. Ils ont utilisé des modèles micro-fondés, dans lesquels l’épargne des ménages dépend de motifs de cycle de vie (niveaux de revenus, chômage, retraite, décès, legs…). Au total, les simulations ont permis de dégager une vingtaine de scénarios différents, qui se basent sur différents paramètres (report d’âge à la retraite, augmentation des cotisations, baisse des taux de remplacement, introduction d’une épargne collective obligatoire…).

« LES GÉNÉRATIONS QUI SUIVENT CELLES DU BABY-BOOM ONT GÉNÉRALEMENT UN NIVEAU DE VIE SUPÉRIEUR À LA PRÉCÉDENTE »

La notion de solidarité entre les générations est intégrée au système de retraite par répartition français, mais les réformes passées des trente dernières années ont eu des incidences sur l’équité intergénérationnelle. Dans ses travaux scientifiques, Lionel Ragot et ses coauteurs ont étudié cette question. L’économiste revient sur ses résultats et dévoile des pistes de recherches futures.

 

ILB : Avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous définir le concept d’équité intergénérationnelle ?
Lionel Ragot : Ce concept vise à comparer des caractéristiques d’individus qui ne sont pas de la même classe d’âge ou de la même génération. Par exemple, la comparaison du niveau de vie entre les actifs et les retraités d’aujourd’hui ou encore entre ces derniers avec les retraités d’il y a 10, 15 ou 20 ans. À l’opposé, l’équité intragénérationnelle compare ces caractéristiques au sein d’une même classe d’âge, par exemple le niveau de revenu des actifs peu qualifiés par rapport à celui des hautement qualifiés.

Pourquoi l’équité intergénérationnelle est-elle mise en avant lorsqu’il y a une réforme des retraites, alors que dans le système de répartition français ce sont les actifs qui financent les pensions des retraités?
LR : Effectivement, les actifs d’aujourd’hui financent les pensions des retraités actuels. Cette acceptation par la population s’explique par l’engagement de l’État à garantir par la loi les futures retraites. Notre système de retraite par répartition est fondé sur un transfert intergénérationnel.

Toutefois, les réformes paramétriques instaurées depuis 1993 n’avaient pas d’objectif en termes d’équité intergénérationnelle, mais plus simplement d’efficacité, c’est-à-dire l’équilibrage financier du système face au choc du vieillissement démographique et la hausse continue du nombre de retraités. Selon les leviers utilisés pour rééquilibrer le système –que sont la hausse des cotisations, la baisse des taux de remplacement ou le recul de l’âge de départ à la retraite – les conséquences en matière d’équité entre générations peuvent se révéler très différentes.

Pourtant, les retraités semblent avoir un meilleur niveau de vie que les actifs…
LR : Oui, aujourd’hui, lorsque l’on prend l’ensemble des revenus disponibles, incluant ceux du patrimoine, le niveau de vie moyen des retraités est légèrement supérieur à celui des actifs. Néanmoins, il faut rappeler que, dans les années 1970, le taux de pauvreté chez les retraités était très élevé et que les réformes de cette époque ont largement corrigé et amélioré cette situation.

Mais les retraités doivent-ils avoir le même niveau de vie que les actifs?
LR : Ce n’est pas aux économistes de répondre à cette question. Cela dépend de la norme sociale retenue pour le concept d’équité intergénérationnel, c’est un choix de société.

Quels sont les critères pour mesurer le niveau d’équité du système des retraites entre les générations?
LR : Dans la littérature économique, il y a trois indicateurs utilisés pour mesurer l’équité intergénérationnelle dont deux qui sont intertemporels :
– Le pouvoir d’achat instantané qui est une comparaison de niveaux de vie entre les actifs et les retraités à un instant T.
– La comparaison des rendements des retraites mesurées par le taux de récupération qui est le rapport entre la somme des pensions reçues durant la retraite et la somme des cotisations au régime de retraite versées tout au long de la vie active. On dit qu’il y a équité lorsque chaque génération reçoit à due proportion de sa contribution au système.
– La comparaison des niveaux de vie de chaque génération à chaque âge: ce critère permet de voir, par exemple, si les générations du babyboom sont plus privilégiées que les suivantes.
La situation sera considérée comme équitable lorsque chaque génération a un niveau de vie supérieur ou égal à la précédente.

Quels sont les résultats globaux de vos simulations sur les futures pensions de retraite à horizon 2060 ?
LR : Dans nos travaux, nous avons pris en compte l’ensemble des réformes des régimes de retraites de 1993 à aujourd’hui dans notre modèle MELETE, afin d’observer leurs conséquences sur l’équité intergénérationnelle pour les cohortes nées entre 1930 et 2005. Nos résultats débouchent sur plusieurs appréciations possibles en fonction du critère d’équité intergénérationnelle retenu. Selon le critère instantané, les réformes passées sont relativement négatives pour le pouvoir d’achat des retraités avec une moindre augmentation des pensions.

Les réformes paramétriques instaurées depuis 1993 n’avaient pas d’objectif en termes d’équité intergénérationnelle.

Dans les années à venir, la situation des retraités va sensiblement se dégrader par rapport à celles des actifs avec une baisse à deux chiffres du taux de remplacement d’ici à 2060.

D’après le taux de récupération, les générations nées en 1930-1940 bénéficie à plein du système avec un taux de récupération de 400 %. De fait, elles n’ont pas eu à supporter un gros effort de cotisation, car le nombre de retraités était beaucoup moins élevé à l’époque et percevaient de faibles pensions. Ce n’est qu’à partir de la génération 1970 que le système de retraite a atteint sa vitesse de croisière avec un taux de récupération de 150 %, qui est relativement stable depuis. Cela peut paraître un peu injuste, mais c’est inhérent au système par répartition: les premières générations qui participent au système ont moins d’effort à fournir
pour le financer, créant ainsi un phénomène de « free lunch » (repas gratuit en anglais).

Enfin, selon le troisième critère, les générations qui suivent celles du baby-boom ont généralement un niveau de vie supérieur à la précédente, à chaque âge. Néanmoins, ce n’est pas le cas pour quelques générations à certains âges en raison de la crise de 2008. Cela dit, c’est un simple effet conjoncturel et en aucune manière structurel. Les réformes paramétriques instaurées depuis 1993 n’avaient pas d’objectif en termes d’équité intergénérationnelle.

Dans la réforme en cours d’élaboration, existent-ils des éléments en faveur de l’équité ?
LR : Difficile de répondre précisément, il reste encore de nombreuses inconnues sur le contenu exact de la réforme. Il y a tout de même un élément intéressant: la volonté d’unifier les régimes et de limiter les régimes spéciaux relève de l’équité intragénérationnelle avec le principe d’un euro cotisé qui donne les
mêmes droits à tous quel que soit le statut. Il y a donc un objectif d’équité qui n’était pas présent dans les réformes précédentes. Quant au système par points et son impact sur l’équité intergénérationnelle, il n’est pas possible de se prononcer, car cela dépendra de ses futures modalités. Nous travaillerons sur cette question dans de prochains travaux.

Quelle serait votre recommandation pour assurer une équité intergénérationnelle ?
LR : Il serait pertinent d’effectuer, ex ante, des évaluations d’impacts de la future réforme sur les trois critères d’équité. Avec mon collègue Xavier Chojnicki, nous allons justement réutiliser notre modèle MELETE pour réaliser ces évaluations lorsque les détails de la réforme seront dévoilés.

Lionel Ragot est professeur d’économie à l’Université Paris Nanterre, chercheur associé à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE) et conseiller scientifique au Cepii. Diplômé d’un doctorat en économie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ses travaux de recherche portent sur la dynamique de long terme des économies et les politiques structurelles.