Elu entrepreneur social de l’année 2016 par la fondation Schwab, Jean-Marc Borello est le fondateur du Groupe SOS, entreprise hybride et atypique. Si sa mission est d’aider les plus démunis, elle intervient pourtant sur des secteurs d’activités concurrentiels. Selon un article paru en avril dernier dans Le Figaro, le Groupe SOS enregistre 20 % de croissance annuelle, pour un chiffre d’affaires de 900 millions d’euros et 15 000 salariés.

De son expérience de leader européen dans l’économie sociale et solidaire, Jean-Marc Borello a tiré une philosophie, mieux encore, des recommandations de réforme destinées à ouvrir l’économie à une nouvelle voie, celle d’un capitalisme d’intérêt général. Ce proche d’Emmanuel Macron en trace les grandes lignes dans un ouvrage qui s’intitule Pour un capitalisme d’intérêt général (Débats Publics, 2017), aux allures de manifeste.

Préserver les outils

Le livre de Jean-Marc Borello n’est pas un appel à renverser le système économique, à balayer finance et capitalisme. Il s’agit de « réconciliation entre le monde du capitalisme et le monde de l’économie sociale et solidaire, […] de créer les conditions d’une mutation profonde. »

Une mutation exigée par les faiblesses du système actuel, que l’on retrouve tant au niveau de l’Etat et des entreprises à but lucratif que des associations.

Le premier souffre d’une baisse de ses ressources, d’un éparpillement de ses missions, les secondes ont fait les frais de la crise, pâtissent d’une financiarisation extrême et d’une recherche de rentabilité qui pénalise le développement sur le long terme. Quant aux associations, leur modèle est un frein à l’accès aux ressources financières, sans pour autant être un gage de la qualité de leur gouvernance.

Refonder le capitalisme ne passe cependant pas par l’élimination de ces acteurs, mais plutôt par la création d’une structure d’un genre nouveau, loin des carcans des choix statutaires actuels : l’entreprise à but non-lucratif, dont l’activité vise l’intérêt général, dont le fonctionnement est bien celui d’une société et non d’une association. Les outils du capitalisme sont présents, utilisés, adaptés à d’autres finalités.

Des enjeux de financement

Face à des besoins sociétaux en croissance et à l’incapacité de l’Etat de les satisfaire, ces entreprises auront pour but de répondre à des problématiques sanitaires, environnementales, culturelles… Sans pour autant que cela fasse d’elles des associations. « L’impact social n’est pas incompatible avec l’efficacité économique et la rentabilité financière », martèle l’auteur.

Concrètement, l’entreprise d’intérêt général « produit des biens et des services qu’elle écoule sur le marché concurrentiel. » Comme une entreprise classique, la rentabilité est recherchée, au contraire des associations. Le statut d’entreprise est bien indispensable.

Il l’est également dans la mesure où il permet l’accès au capital, pierre angulaire de la réussite des missions d’intérêt général. Les entreprises d’intérêt général doivent être en mesure de lever de l’argent, de posséder suffisamment de fonds propres pour développer activités et innovations.

En revanche, ces structures hybrides appellent des modes de financement différents des circuits bancaires classiques, notamment afin de préserver leur autonomie. C’est ici qu’entrent en scène les citoyens, les épargnants, à qui il est demandé de financer ces sociétés, via du crowdfunding ou du crowdlending. L’auteur entend lever le frein que constitue l’aversion au risque des Français en proposant un « placement de sécurité, au risque garanti, avec un taux satisfaisant. Et le fait d’investir dans un projet d’intérêt général peut constituer un argument « éthique » supplémentaire très convaincant… ».

Pour faciliter le choix des épargnants et les aider à diriger leur épargne, Jean-Marc Borello plaide d’ailleurs pour des critères de notation des entreprises incluant leur impact social. Cela implique le déploiement de nouveaux outils de mesure. « Il s’agit de faire évoluer [les] agences vers une notation de l’impact social, environnemental, vers une notation du respect de l’intérêt général. ». 

Si l’argument du cœur ne suffit pas à convaincre les épargnants, Jean-Marc Borello prévoit également des incitations fiscales. Il souhaite encourager un investissement de long terme, levant ainsi certaines pressions dont souffrent les entreprises capitalistes. « Je propose donc de taxer fiscalement l’investissement à très court terme et de taxer moins fortement les revenus de l’investissement dont la durée de placement est plus longue. » 

Des critères de gouvernance

Fixer un objectif d’intérêt général ne suffit toutefois pas pour faire de ces entreprises des structures totalement innovantes. Leur gouvernance doit aussi se distinguer de celle des sociétés classiques.

Premier point, l’actionnariat. Sa vision long terme et son autonomie sont des enjeux cruciaux. L’auteur présente une solution encore peu utilisée mais avantageuse à plus d’un titre : la fondation actionnaire. En France, seuls 5 groupes l’appliquent. La fondation peut être directement actionnaire, ou passer par le biais d’une holding. « La fondation est financée régulièrement par les dividendes de la société dont elle est actionnaire. Elle ne peut pas distribuer de résultats, puisqu’elle est une fondation, mais elle doit permettre à l’entreprise de se développer. Il n’existe plus de personne physique qui soit propriétaire du capital. Les résultats financiers sont utilisés pour faire le bien. »  

Deuxième enjeu, la gouvernance et le management. L’auteur recommande une collégialité de la gouvernance, l’usage d’un droit de veto collectif ; une réforme des fonctionnements et des rôles des assemblées, des comités et du conseil d’administration ; ainsi qu’une politique de limitation des salaires. Il prône d’ailleurs des limitations à un niveau général, au-delà de la seule entreprise d’intérêt général, avec une imposition progressive sur les rémunérations et un accord européen global, pour éviter la fuite des grands patrons chez nos voisins. 

Les citoyens et donateurs pourraient également être plus étroitement associés à la gouvernance, notamment dans la prise de décisions et de responsabilités.

Enfin, les ressources humaines et l’emploi sont également à refonder. Un impératif qui dépasse le contexte des entreprises d’intérêt général. Il obéit au besoin d’une réforme profonde du code du travail, à la remise en cause de la suprématie du CDI, au profit d’un emploi modulable et flexible, assurant cependant une sécurité dans le parcours professionnel et l’acquisition des droits sociaux.   

La mise en place de ce modèle tripartite, dont les effets se feront sentir sur les acteurs des secteurs privé et public, permettra selon l’auteur de mettre les innovations au service des exclus, de remplir des missions sociales d’envergure, sans pour autant dépendre des subventions de l’Etat.

Demeure alors une interrogation : quelle place reste-t-il pour cet Etat ? Jean-Marc Borello voit dans le capitalisme d’intérêt général l’occasion pour ce dernier de se concentrer sur ses missions régaliennes et sur le service public et de placer, entre autres, l’éducation au cœur de son action.

Ingrid Labuzan