Dans tous les pays, à l’exception de la Belgique, l’indemnité perçue au titre de l’assurance chômage diminue de facto avec la durée du chômage dans la mesure où l’indemnité est versée pour une période limitée. À l’issue de cette période, les demandeurs d’emploi perçoivent généralement les minima sociaux. Plus rarement, l’indemnité d’assurance chômage peut aussi diminuer par palier avec la durée du chômage. Tel est le cas en Estonie, Espagne, en République Tchèque, et en Suède. Tel a été le cas aussi en France de 1992 à 2001, où l’allocation diminuait tous les 4 mois. Brigitte Dormont, Denis Fougère et Ana Prieto (2001) ont bien mis en évidence l’influence positive de la baisse du taux d’indemnisation du chômage sur le taux de sortie vers l’emploi. Ce constat pourrait laisser penser que la dégressivité des allocations est un levier efficace pour réduire les dépenses de l’assurance chômage, puisqu’elle permet de verser des allocations moins longtemps tout en incitant les demandeurs d’emploi à retrouver un emploi plus rapidement. En réalité, l’analyse économique apporte un éclairage différent. Elle montre que la dégressivité de l’allocation de chômage n’est pas toujours souhaitable, loin de là, même si elle accroît le taux de sortie du chômage.

Les premiers modèles consacrés au profil temporel de l’allocation chômage (Shavell et Weiss, 1979) montrent que l’allocation chômage optimale doit décroître au cours de l’épisode de chômage. L’assurance chômage ne peut pas être parfaite car les chômeurs influencent leurs chances de retrouver un emploi par leur effort de recherche d’emploi. C’est « l’aléa moral ». Dans ce contexte, la dégressivité présente l’intérêt d’inciter le demandeur d’emploi à accentuer son effort de recherche d’emploi du fait de la menace de la baisse future de l’allocation. La décroissance de l’allocation améliore donc les incitations sans réduire le revenu courant des demandeurs d’emploi. Là réside son principal avantage. Évidemment, comme tous chômeurs ne retrouvent pas instantanément un emploi même si l’allocation chômage décroît très rapidement, la dégressivité admet des limites: elle pénalise les individus qui recherchent activement un emploi mais qui ont moins de chances que les autres d’en trouver. En pratique, ce sont surtout les moins qualifiés.

Mais ces premiers modèles négligeaient le rôle de l’épargne, qui permet aux ménages de couvrir partiellement le risque de baisse de revenu lié au chômage. Sa prise en compte modifie considérablement l’analyse. En effet, contrairement à l’aléa moral, la présence d’épargne justifie un profil d’indemnisation croissant avec la durée du chômage. Lorsqu’ils débutent leur épisode de chômage, les demandeurs d’emploi peuvent puiser dans leur épargne. C’est ce qui se passe au début des périodes d’indemnisation du fait des périodes de carence qui sont plus longues lorsque l’indemnité de licenciement est plus importante[1]. L’allocation de chômage a alors un intérêt limité pour lisser la consommation. Mais son intérêt croît au fur et à mesure que la durée du chômage s’allonge, car l’épargne s’épuise.

En présence d’épargne et d’aléa moral, le profil optimal de l’allocation chômage résulte donc de deux forces contradictoires: l’aléa moral, qui justifie un profil décroissant, et l’épargne, qui justifie un profil croissant. Les simulations montrent que le profil optimal, qui assure la meilleure protection pour le coût le plus faible, peut être croissant, décroissant, ou non monotone (décroissant puis croissant par exemple) pour des valeurs plausibles des paramètres des modèles et que les gains de profils d’indemnisation non constants, par rapport à un profil plat indépendant de la durée du chômage, sont très faibles (Wang et Williamson, 2002; Shimer et Werning, 2008).

En outre, d’autres instruments que la dégressivité des allocations peuvent être utilisés, comme par exemple le versement d’une prime en cas de reprise d’emploi (Hopenhayn et Nicolini, 1997) qui serait décroissante avec la durée du chômage, les mesures d’activation obligatoires à partir d’une certaine ancienneté au chômage comme l’entrée en formation, ou bien le renforcement de l’aide à la recherche d’emploi. L’optimisation de l’assurance chômage doit coordonner ces instruments tout au long des épisodes de chômage. Les travaux menés dans ce domaine montrent qu’il peut être souhaitable de faire varier l’intensité des primes de retour à l’emploi, des formations (Pavoni et Violante, 2005 ; Wunsch, 2008 ; Spinnewijn, 2013) et de l’accompagnement (Pavoni et Violante, 2007 ; Wunsch, 2013) avec la durée du chômage et selon le type des demandeurs d’emplois. Ils montrent aussi qu’une assurance chômage efficace devrait conditionner les allocations chômage et les cotisations à l’historique de chaque assuré: cotisations et allocations devraient varier avec les durées passées de chômage et d’emploi selon une logique de bonus-malus, comme dans la plupart des régimes d’assurance confrontés à des problèmes d’aléa moral.

En tout état de cause, on peut retenir de ces recherches qu’il y a peu de justification à un profil d’allocation chômage systématiquement décroissant avec la durée du chômage. À ce titre, il est peu vraisemblable que l’introduction d’une allocation dégressive pour l’ensemble des demandeurs d’emploi améliore l’efficacité de l’assurance chômage. Certes, elle permettrait sans doute de faire des économies, mais l’analyse économique suggère que cette voie n’est pas la plus efficace pour réaliser cet objectif si l’on se soucie du bien-être des salariés et des demandeurs d’emploi, notamment ceux qui ont de faibles marges de manœuvre dans leur capacité à retrouver un emploi.

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[1] En France, la période de carence était jusqu’en 2014 de 75 jours au maximum. Avec la nouvelle convention d’assurance chômage, à partir du second semestre 2014 elle pourra atteindre jusqu’à 180 jours pour les personnes ayant perçu des indemnités de départ de 16 200 euros et plus.