La 25ème Conférence sur le climat des Nations unies (COP 25) vient de se clôturer à Madrid sans aucune avancée significative sur le plan de la coordination internationale visant à lutter contre le  réchauffement climatique. Pourtant, ce dernier est de plus en plus marqué, comme l’a montré la multiplication des catastrophes naturelles en 2019 dans le sillage des années précédentes. Résultat : la décennie 2010-2019 est la plus chaude jamais enregistrée depuis le début des relevés météorologiques en 1850.

Malgré ces preuves scientifiques irréfutables, au grand dam des climato sceptiques, la mobilisation grandissante de la société civile, notamment des jeunes, et les déclarations d’intention de grandes entreprises, le business as usual se poursuit et l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d’ici à la fin du siècle est compromis. Pour inverser cette mauvaise trajectoire, l’apport de la recherche scientifique d’excellence est indispensable et doit être davantage promu.

Justement, à l’institut Louis Bachelier (ILB), notre ambition est de contribuer à une croissance et à une finance durable avec l’apport de la recherche scientifique française d’excellence, avec la devise suivante : « Ensemble, trouvons des solutions pour un monde en transition ». De fait, il ne fait aucun doute que le défi majeur du XXIe siècle que représente le réchauffement climatique ne pourra être contenu sans de fortes synergies. C’est dans cette optique que le programme interdisciplinaire Green and Sustainable Finance a été lancé en 2018. Son objectif consiste à rassembler la communauté académique française et étrangère sur les problématiques liées aux financements de la transition environnementale. Il peut également s’appuyer sur les nombreux travaux de recherche émanant de chaires hébergées à l’ILB, comme la Chaire Économie du Climat, la Chaire Finance Durable et Investissement Responsable, la Chaire Finance et Développement Durable ou encore la Chaire Énergie & Prospérité.

Ce nouveau numéro des Cahiers Louis Bachelier donne un aperçu non exhaustif de recommandations de la recherche scientifique permettant de parvenir à une transition bas-carbone et à une finance durable. Il commence par une grande interview de Christian de Perthuis qui revient sur son ouvrage récemment publié Le tic-tac de l’horloge climatique. Le deuxième article est consacré aux travaux sur la tarification du carbone de Christian Gollier qui a également publié un livre détonnant cette année : Le climat après la fin du mois. Le troisième article synthétise l’ouvrage Detox Finance, écrit par Stéphane Voisin et Jean-Baptiste Bellon, qui propose plusieurs solutions remarquables pour que la finance devienne plus verte et durable. Enfin, le dernier texte aborde des travaux de Peter Tankov sur le manque de données fiables pour évaluer financièrement les risques climatiques physiques.

Bonne lecture !

Ryadh Benlahrech, rédacteur en chef des Cahiers Louis Bachelier

« FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE, IL N’Y A PAS UNE SOLUTION MIRACLE »

En dépit des promesses affichées après la conclusion de l’Accord de Paris sur le climat en 2015, qui a été ratifié par plus de 180 pays, force est de constater que les efforts conjoints pour limiter le réchauffement climatique sont loin de répondre aux préconisations scientifiques. Pis encore, au lieu de se réduire, les émissions de gaz à effet de serre (GES) battent de tristes records. Ainsi, la concentration de GES dans l’atmosphère (émission totale moins l’absorption par la nature) a atteint un nouveau record en 2018, d’après l’Organisation météorologique mondiale (OMM). D’autres études plus alarmantes les unes que les autres estiment que le temps est limité pour inverser cette tendance dangereuse pour l’avenir de la planète et des générations futures. C’est dans ce contexte que Christian de Perthuis a rédigé son ouvrage intitulé Le tic-tac de l’horloge climatique, publié aux éditions De Boeck. Il y analyse et synthétise avec clarté les principaux enjeux liés au réchauffement climatique et à l’accomplissement de la transition bas-carbone. Et le moins que l’on puisse dire est que le temps presse ! Interview.

 

ILB : Votre ouvrage est titré sur le compte à rebours lié au réchauffement climatique, pouvez-vous revenir sur ce sentiment d’urgence ?

Christian de Perthuis : Il faut bien comprendre que le moteur du réchauffement climatique est l’augmentation du stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ce stock évolue en fonction de deux grands paramètres : le niveau des émissions de gaz à effet de serre (le flux entrant) ; le flux sortant du stock, résultant de l’élimination des gaz non CO2 en fin de vie et des puits de carbone absorbant le CO2 présent dans l’atmosphère. Il y a une très grande inertie du stock par rapport au flux et donc des réactions du système aux politiques climatiques.
Lorsque les scientifiques du climat modélisent le temps restant, ils calculent un budget carbone global. Ce budget représente les quantités cumulées de CO2 rejetées dans l’atmosphère donnant deux chances sur trois de limiter le réchauffement à 1,5 ou 2 degrés Celsius. Au niveau actuel des émissions (chiffres 2018), il reste moins de 20 ans pour limiter le réchauffement à 2 degrés et à peine 10 ans pour le limiter à 1,5 degré. L’urgence climatique ne consiste pas à prévoir la fin du monde. C’est pointer le peu de temps qu’il reste pour stabiliser les émissions et atteindre ainsi la neutralité carbone.

Aujourd’hui, 80 % des sources d’énergie utilisées dans le monde sont d’origine fossile.

Cette situation résulte des différentes transitions énergétiques qui ont eu lieu depuis la première révolution industrielle, que s’est-il passé ?

CdP : Très souvent, la question de la transition énergétique actuelle est abordée sous l’angle de l’augmentation des sources d’énergies renouvelables et des gains d’efficacité énergétique. Ce n’est qu’un volet du problème. La transition bas-carbone est différente de celles qui ont eu lieu depuis le début de la révolution industrielle.Historiquement, les nouvelles sources d’énergie se sont additionnées à celles préexistantes : au milieu du XXIe siècle, la quasi-majorité de l’énergie utilisée était la biomasse. Ensuite, le charbon est apparu sans faire disparaître la biomasse. Idem pour le pétrole et le gaz fossile, qui se sont ajoutés sans remplacer les sources existantes. C’est un schéma de l’empilement des différentes sources, qui a démultiplié l’accès à l’énergie et contribué à l’essor économique du siècle dernier. Aujourd’hui, 80 % des sources d’énergie utilisées dans le monde sont d’origine fossile. Elles constituent le premier facteur d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Cette proportion est constante depuis les années 1970. La transition bas-carbone implique de sortir de cette logique de l’empilement des énergies en passant à une logique de substitution permettant de renoncer au plus vite aux trois produits que sont le charbon, le pétrole et le gaz.

Comment expliquer cette résistance des énergies fossiles ?

CdP : Aujourd’hui, les sources d’énergies renouvelables deviennent de plus en plus rentables face aux énergies fossiles. C’est une révolution majeure. Toutefois, le secteur des fossiles se caractérise par une économie de rente. Prenons l’exemple du pétrole. Quand le prix de l’or noir augmente, les investissements repartent en hausse et génèrent des progrès technologiques. L’exemple le plus récent concerne le pétrole et le gaz de schiste aux États-Unis dont les coûts d’extraction sont devenus très compétitifs grâce à la fracturation hydraulique et aux forages horizontaux. À l’opposé, quand les prix baissent, les producteurs résistent et ne disparaissent pas du marché, grâce à la rente différentielle. Celle-ci apparaît sur les gisements les plus compétitifs du monde, comme en Arabie Saoudite, où le coût de production d’un baril est d’environ 5 dollars. Même à 20 dollars le baril, les bénéfices sont élevés, ce qui ne favorise pas la sortie des énergies fossiles. C’est une mécanique infernale. Or, leur abandon est inévitable, mais cela risque de prendre beaucoup de temps dont nous ne disposons pas ! Pour accélérer le mouvement, la majorité des économistes recommandent l’instauration d’une taxe carbone permettant de surenchérir le coût des énergies fossiles. C’est un instrument économique très pertinent.

Inversement, comment favoriser l’augmentation des énergies renouvelables ?

CdP : Le poids des énergies renouvelables augmentera quels que soient les scénarios retenus, même celui du business as usual. Cela se produira grâce à la baisse des coûts de production, du stockage de l’électricité et de la gestion des systèmes d’information des réseaux intelligents. La clé ne réside pas dans l’augmentation des énergies renouvelables, mais dans leur capacité à chasser rapidement les fossiles de notre système énergétique pour casser le schéma de l’empilement précédemment évoqué. Cependant, pour y parvenir, il faudra contourner la forte inertie des systèmes énergétiques fossiles, qui se manifeste par les nombreux actifs dédiés à l’exploration-production, par les réseaux de transports et de distribution (pipelines, gazoducs) et même par les utilisations finales dont les exemples les plus marquants sont ceux de la voiture à moteur à combustion ou encore des chaudières au fioul. Ces inerties allongent la durée de la transition bas-carbone.

Outre l’accélération du tempo et la sortie des énergies fossiles, quels sont autres les enjeux de la transition bas-carbone ?

CdP : Ces enjeux se déclinent différemment selon les sociétés. Il y a trois grands groupes de pays, qui ont des situations différentes :

− la majorité des pays d’industrialisation ancienne ont dépassé leur pic d’émission de CO2. L’Europe, dès le début des années 80, après les deux premiers chocs pétroliers. Aux États-Unis, le reflux des émissions a commencé en 2005. Dans ces pays, il faut désinvestir des infrastructures énergétiques de sources fossiles rapidement. Cela passera nécessairement par des restructurations coûteuses dont on sous- estime l’ampleur et le coût. Prenons l’exemple du secteur automobile dont l’électrification va croître. Le montage de véhicules électriques nécessite deux fois moins de main-d’œuvre que les voitures thermiques : de dures restructurations en perspectives ;

− les pays les moins avancés doivent augmenter leur accès à l’énergie, car plus de 50 % de leur population n’a pas accès à l’électricité et utilise des modes de cuisson traditionnels. Dans ces pays, l’amélioration de l’accès à l’énergie est donc une priorité, mais elle ne doit pas se produire selon le schéma traditionnel de l’empilement des énergies fossiles. Cependant, il leur sera difficile de se passer des énergies fossiles à 100 %, en particulier pour l’amélioration rapide des systèmes de cuisson qui passe souvent par une utilisation accrue du gaz d’origine fossile ;

− les pays intermédiaires et émergents sont déjà engagés dans un schéma historique de rattrapage. L’enjeu y est de modifier la trajectoire de développement économique très carboné. Depuis 1970, ces pays sont les moteurs de la croissance des émissions de carbone. Ils seront donc aussi les moteurs de la transition bas-carbone dans les prochaines années et décennies, en particulier le continent asiatique. Il y a quand même des signaux positifs venant de la Chine, qui a infléchi sa politique énergétique depuis 2012. L’Inde est devenue un très gros investisseur dans les renouvelables. Toutefois, ce n’est pas assez rapide et suffisant, car ils investissent dans les énergies vertes sans renoncer aux fossiles, notamment le charbon.

Après l’analyse des constats, abordons les solutions. Vous évoquez notamment  la préservation de la biodiversité et  du carbone vivant. En quoi cela consiste ?

CdP : C’est un point fondamental. Pourtant, il est méconnu et sous-estimé dans les contraintes de politiques publiques. La neutralité carbone implique d’accélérer la transition énergétique et d’améliorer la capacité naturelle d’absorption du CO2, qui comporte deux volets:

– Les océans sont les premiers puits de carbone de la Terre. Or, des signaux croissants semblent montrer que la pompe d’absorption de carbone océanique est altérée par l’acidification et la perte de biodiversité dont témoigne par exemple l’affaiblissement des coraux, des milieux particulièrement riches en biodiversité marine.

−L’agriculture et la forêt, avec le mécanisme de la photosynthèse, permettent aux plantes en croissance de stocker du carbone. Lorsqu’il y a des incendies et de la déforestation, le CO2 stocké se libère dans l’atmosphère et s’ajoute aux émissions d’origine humaine. D’où la nécessité de préserver cette nature. Cependant, le premier motif de déforestation est dû à l’agriculture et l’élevage dont les modes de production ne sont pas toujours vertueux pour l’environnement. L’enjeu agricole et forestier est donc crucial. À ce titre, l’agroécologie et l’agroforesterie permettraient d’améliorer la biodiversité et d’augmenter la capacité de stockage des sols.                                                         

Pourquoi l’enjeu agricole et forestier est-il si crucial ?

CdP : Le dernier rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) estime que 25 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde résultent de la déforestation et de l’agriculture. Cette dernière est la première source d’émission de méthane et de protoxyde d’azote, les deux premiers gaz à effet de serre non CO2. Dans ce domaine, je vois trois grands enjeux :

− améliorer la capacité de stockage du carbone dans les sols et les plantes grâce à des méthodes agricoles écologiquement intensives ;

− s’adapter aux impacts du changement climatique qui sont très marqués sur les méthodes agricoles industrielles. L’agroécologie permettrait ainsi aux paysans de mieux résister aux impacts croissants du changement climatique ;

− préserver la biodiversité qui est menacée par le changement climatique, alors même qu’elle permettrait de le limiter en stockant davantage de carbone au lieu d’en libérer lorsqu’elle est menacée. Il s’agit de briser un cercle vicieux pour qu’il devienne vertueux.

Quid de la taxation du carbone qui peine  à se mettre en place au niveau des États et encore plus à l’échelle internationale ?

CdP : La taxation du carbone ne fonctionne que pour la partie énergétique. Le prix du carbone ne permettra pas de gérer la préservation de la forêt amazonienne, ni de transformer les méthodes agricoles. Dans le système énergétique, la meilleure solution pour sortir des sources fossiles est d’augmenter son coût d’usage en taxant le carbone. Cependant, une taxe carbone – ou un système d’échanges de quotas – pose de multiples problèmes distributifs. En France, par exemple, la taxe carbone pénalise davantage les ménages modestes, dont la part des dépenses en carburant est proportionnellement plus élevée que celle des ménages aisés. Pour augmenter le prix du carbone, il faut utiliser l’incitation par un signal-prix plus élevé et redistribuer une partie de la taxe aux ménages les plus affectés ou en finançant des alternatives pour ces populations, qui sont souvent éloignées des centres-villes.
Sur le plan international, un accord climatique ambitieux consisterait à élargir la taxation du carbone et à redistribuer massivement le produit de cette taxe vers les pays en transition et les pays moins avancés.

Les politiques climatiques semblent opposer l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, ainsi que les échelons locaux et nationaux…

CdP : L’échelon local est fondamental en termes d’adaptation au changement climatique. Dans la zone méditerranéenne, le réchauffement aggrave le stress hydrique. En Europe du nord, il accroît au contraire l’intensité des précipitations. D’où l’importance d’agir localement pour augmenter la résilience des territoires face aux impacts du changement climatique et obtenir l’adhésion des populations.
Sur l’atténuation des émissions, une grande partie des solutions implique d’agir sur les usages quotidiens et les modes de vie (logement, transport, alimentation). Dès lors, une gestion locale est plus pertinente. Prenons l’exemple de l’investissement dans les bornes de recharge pour les véhicules électriques en France. Il faut les démultiplier en les répartissant aux endroits les plus stratégiques. Il s’agit d’effectuer un maillage territorial fin. La bonne façon d’opérer n’est pas que l’État investisse directement, mais qu’il envoie les bonnes incitations aux collectivités locales (avec les ressources financières adéquates) et aux opérateurs publics et privés.

Quelles sont les solutions pour obtenir un accord international vraiment contraignant et arrimer les pays émergents à la question climatique ?

CdP : Face au changement climatique, il n’y a pas une solution miracle. En tant qu’économiste du climat, j’ai pensé, pendant longtemps, que la tarification du carbone était le facteur le plus important pour accélérer la transition bas-carbone. Aujourd’hui, je pense que la question de la justice climatique est déterminante. Le réchauffement climatique aggrave les inégalités, en frappant le plus durement les populations et les pays qui ont souvent le moins contribué à l’accroissement des émissions. C’est pourquoi, j’ai tenté de définir quatre critères d’une politique climatique « juste » :

− construire des politiques climatiques sur des critères d’adaptation aux impacts du changement climatique qui corrigent l’inégalité des citoyens et des pays face au réchauffement ;− établir un système de mesure et de reporting MRV (Measuring, Reporting and Verification). impartial fondé sur des informations scientifiques incontestables, auquel tous les pays acceptent de se soumettre. Les progrès en la matière sont très lents, notamment dans les pays émergents ;

− instaurer le principe du pollueur-payeur qui consiste à faire porter en priorité la charge de la transition bas-carbone sur les émetteurs de gaz à effet de serre ;

− redistribuer une partie des taxes au bénéfice des populations et des pays qui n’ont pas les moyens de conduire la transition bas-carbone. Au plan international, cela impliquerait de procéder à des transferts bien plus conséquents que ceux actuellement envisagés pour concilier atténuation du changement climatique et développement économique.

Pour conclure, la sobriété énergétique est-elle compatible avec notre mode de croissance ?

CdP : L’efficacité énergétique a souvent été érigée en solution. Toutefois, cette affirmation omet un principe économique de base, qui est l’effet rebond. Ce dernier pousse à consommer davantage lorsqu’il y a des améliorations ou des gains d’efficacité. Dans ces conditions, davantage de sobriété énergétique est nécessaire. Cela implique quelque part de remettre en cause nos modes de vie basés sur la croissance et le consumérisme. L’urgence climatique va nous contraindre à nous poser des questions sur la durabilité et la soutenabilité de nos sociétés consuméristes reposant beaucoup trop sur l’individualisme. Les solutions, face au changement climatique, passent par la coopération entre les acteurs et non par la compétition. C’est pourquoi les règles classiques de la concurrence et des politiques commerciales devront être subordonnées aux impératifs de la transition bas-carbone.

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COMMENT RÉSOUDRE LE CASSE-TÊTE DE LA TARIFICATION DU CARBONE ?

Pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés Celsius d’ici à la fin du siècle, il sera indispensable de mettre un prix sur le carbone. Son niveau et son taux de croissance dans le temps dépendent des anticipations relatives à l’émergence de technologies vertes économiquement matures dans les décennies à venir. Un chercheur a développé un modèle innovant intégrant les importantes incertitudes technologiques dans la détermination de l’évolution du prix du carbone permettant d’atteindre les objectifs climatiques fixés par les États.

 

« La tarification du carbone est indispensable pour lutter contre le changement climatique d’ici à 2050 et tenter de respecter les objectifs fixés lors de l’Accord de Paris, car les émissions de carbone vont affecter les générations futures », assure Christian Gollier. Il faut dire que cet instrument économique est particulièrement efficace pour favoriser une transition énergétique bas-carbone au moindre impact sur le pouvoir d’achat. Néanmoins, sa mise en place se heurte à de nombreuses difficultés et pose des questions techniques, en plus de l’acceptabilité par les opinions publiques : à quel prix doit être fixé le prix d’une tonne de carbone ? À quelle vitesse doit-il augmenter chaque année ? Comment intégrer les incertitudes macroéconomiques et technologiques dans le mécanisme de tarification ? Quel est le coût des dommages à long terme causés par une tonne de carbone rejetée aujourd’hui dans l’atmosphère ? Quels sont les avantages sociaux et privés de cette tarification ?

Ces problématiques non exhaustives sont loin de faire consensus au sein de la communauté scientifique et des gouvernements des différents pays. Ainsi, par exemple, en France, la commission Quinet 2 sur la valeur tutélaire du carbone a recommandé, début 2019, d’appliquer au prix du carbone un taux de croissance annuel de 8 % avec un prix plancher de 69 euros en 2020. Selon ces travaux, la tonne de carbone atteindrait 775 euros en 2050, soit 20 fois le niveau actuel ! Au Royaume-Uni, le Département des Affaires, de l’Énergie et des Stratégies industrielles estime le taux de croissance de la tonne de CO2 à 15 % et un prix de 13,84 livres en 2020, tandis qu’aux États-Unis, ce chiffre est de seulement 1,65 % pour un prix de 42 dollars la tonne en 2020. Avec de telles disparités, il est difficile de répondre aux problématiques mentionnées précédemment.

Si les technologies s’amélioraient dans les prochaines années, la lutte contre le réchauffement climatique serait moins coûteuse et permettrait de faire moins d’efforts aujourd’hui.

DEUX APPROCHES DISTINCTES POUR TARIFER LE CARBONE

Pour ne rien arranger, il existe deux méthodes différentes pour fixer un prix au carbone :

− la première est de type calcul coût-bénéfice et se base sur le principe du pollueur-payeur. Elle a été utilisée au cours des 20 dernières années et a été notamment popularisée par William Nordhaus, prix Nobel d’économie en 2018. Cette méthode implique que le prix du carbone soit plus élevé dans le futur, en raison de la concentration supérieure de carbone dans l’atmosphère et des dommages marginaux plus élevés à long terme. « Cette méthode est la première option, mais elle a de nombreuses limites. La plupart des négociations internationales ne sont pas basées sur un prix du carbone, mais sur la limitation dans le temps des émissions par pays avec un budget carbone par région », souligne Christian Gollier ;

− la seconde est une approche coût-efficacité dont le but est de définir une stratégie optimale pour allouer le budget carbone dans les trois prochaines décennies, afin qu’il soit compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés. « Cette méthode s’est développée, car les fonctions de dommages sont très difficiles à calculer à long terme, en particulier l’estimation des dommages dans 30 ans d’une tonne de CO2 rejetée aujourd’hui. Qui plus est, elle est mieux adaptée, car l’Accord de Paris est aussi basé sur des quantités d’émissions et non un prix du carbone », explique Christian Gollier. Pour l’économiste, la question résiduelle est de savoir s’il faut imposer un prix élevé tout de suite ou un prix plus faible à court terme, mais qui soit compensé par un prix élevé à long terme.

DES INCERTITUDES NOMBREUSES D’ICI À 2050

Alors que les deux méthodes de calcul et la différence des taux de croissance du prix du carbone constituent des casse-tête, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’est également penché sur cette question. Selon 356 modèles différents, le taux de croissance annuel du carbone atteint en moyenne 7,90 %, un chiffre très proche de celui établi par la commission Quinet 2 en France. « Selon la théorie d’Hotelling, le taux de croissance du prix du carbone devrait être égal au taux d’intérêt sans risque. Mais cette théorie ne tient pas compte des lourdes incertitudes citées plus haut, affirme Christian Gollier. D’ailleurs, si le prix du carbone augmentait de 8 % par an avec certitude, les investisseurs se feraient un plaisir d’arbitrager cet actif carbone, ce qui montre que ce ne peut être un équilibre. Mais les modèles du GIEC n’incorpore pas les incertitudes ». Or, si les technologies s’amélioraient dans les prochaines années, la lutte contre le réchauffement climatique serait moins coûteuse et permettrait de faire moins d’efforts aujourd’hui. « L’incertitude technologique doit être prise en compte. Il faut donc revoir la règle d’Hotelling », indique le chercheur. Par ailleurs, le calcul d’un taux de croissance du prix du carbone en tenant compte des incertitudes pour-rait inciter les investissements dans la transition énergétique bas-carbone.

UNE NOUVELLE MODÉLISATION POUR CALCULER LE TAUX DE CROISSANCE DU PRIX DU CARBONE

Pour parvenir à calculer un taux de croissance annuel du prix du carbone en prenant en compte les incertitudes, Christian Gollier a calibré un modèle d’évaluation des actifs basé sur la consommation (CCAPM) en y incorporant des incertitudes macroéconomiques et technologiques, et en optimisant inter temporellement l’effort de réduction des émissions. « Avec un budget carbone restreint, il n’est pas possible de garantir le taux de rentabilité d’un investissement bas-carbone, qui correspond au taux de croissance du prix du carbone », détaille Christian Gollier. Autrement dit, il n’est pas possible de faire jouer au prix du carbone à la fois le rôle de signal-prix associé au budget carbone de la Nation et de garantir une rentabilité stable aux investissements verts d’aujourd’hui, au grand dam des producteurs d’énergies renouvelables. Pour contourner cette difficulté, Christian Gollier a une solution : « Les risques pris par les investisseurs dans des projets bas-carbone peuvent être compensés par une prime de risque positive. Cela peut se faire en offrant un taux de croissance du prix du carbone plus élevé que le taux sans risque. Exit la règle d’Hotelling ! »

En outre, pour déterminer le signe et l’intensité de cette prime de risque qu’il faut offrir aux investisseurs pour les inciter à investir dès aujourd’hui, il faut mesurer le « beta » du coût marginal d’abattement d’une tonne de CO2. Si le coût d’abattement est positivement corrélé avec la croissance économique, l’idée de reporter à plus tard le gros de l’effort n’est pas mauvaise, puisque l’effort sera moins coûteux en cas de récession. Dans cette configuration à beta positif, l’application d’un prix du carbone peu élevé au départ – compensé par un taux de croissance espérée élevé du prix, quitte à réduire le prix dans dix ou vingt ans – pourrait être pertinente, si l’hypothèse de stagnation séculaire prédite par certains devait se confirmer. Une simulation à la Monte-Carlo du modèle montre que le prix du carbone est corrélé positivement à la croissance, comme l’a montré la chute des prix du carbone sur le marché des quotas européens durant la récession économique de 2008.

Sans rentrer dans des détails techniques, la résolution mathématique du modèle du chercheur indique que le taux réel de croissance optimal du prix du carbone doit être fixé à environ 3,5 % par an. « Le prix du carbone est fondamental et doit être compatible avec les autres actifs de l’économie, mais les gouvernements ne comprennent pas que les objectifs quantitatifs de réduction des émissions impliquent de tarifer le carbone », déplore Christian Gollier.

Et de conclure : « Le prix du carbone en 2050 nécessaire pour respecter les engagements européens est très incertain, ce qui n’est pas positif pour l’industrie financière responsable. Toutefois, la bonne nouvelle est que l’on peut compenser ces risques avec un taux de croissance du prix du carbone plus élevé que le taux d’intérêt, sans qu’il soit exagérément élevé ». L’avenir nous dira si les recommandations de la recherche scientifique sur la taxe carbone seront mises en place, alors que l’urgence climatique se fait de plus en plus pressante. 

COMMENT RENDRE LA FINANCE DAVANTAGE VERTE ET DURABLE ?

La finance prend progressivement conscience de son exposition au changement climatique et de la nécessité de financer la transition environnementale. La COP 21 a servi de catalyseur à cette dynamique, mais le chemin à parcourir est encore long pour que le secteur serve pleinement l’intérêt commun. Dans l’ouvrage Detox Finance, publié en août dernier aux éditions Eyrolles, Jean-Baptiste Bellon et Stéphane Voisin livrent un panorama et un décryptage, extrêmement bien documentés, sur les excès toxiques de la finance ayant conduit à la crise, tout en formulant des solutions concrètes pour qu’elle devienne « utile, positive, verte et durable », comme l’indique la couverture de cet ouvrage. Retour sur une lecture incontournable, en particulier, pour les professionnels du secteur.

 

Avant même de se plonger dans la lecture de l’ouvrage « Detox Finance », la quatrième de couverture suscite un vif intérêt avec des commentaires de personnalités renommées dans leur domaine, Christian de Boissieu, professeur émérite à l’Université Paris 1, André Levy-Lang, président de l’Institut Louis Bachelier, mais aussi Nicolas Hulot, dont l’engagement en faveur de l’écologie ne se dément pas : « Que la finance se désintoxique en se mettant au service de l’intérêt général est un objectif nécessaire pour accompagner la transition écologique et solidaire. C’est le pari des auteurs de ce livre. J’aimerais que l’avenir leur donne raison et nous fasse oublier ne serait-ce que les dégâts sociaux de la finance toxique. Les enjeux écologiques auxquels nous sommes confrontés ont besoin de l’énergie et de l’intelligence de chacun. À la finance de jouer sa part ! », estime ainsi le président d’honneur de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme.

UNE FINANCE TOXIQUE ET ADDICTIF AUX ARBITRAGES DE COURT TERME

En débutant la première partie de l’ouvrage, partie intitulée « Toxic Finance », la finance fait rapidement l’objet d’une métaphore à la fois provocante et somme toute justifiée : elle est addictif et droguée aux profits, tel un toxicomane dépendant à la cocaïne ! Et comme toute dépendance néfaste, elle conduit à des excès, qui eux-mêmes provoquent des crises. En examinant les exemples des faillites de Lehman Brothers ou de la banque franco-belge Dexia, les auteurs montrent comment la finance est progressivement devenue « hors-sol », notamment en raison des vagues de dérégulation, qui ont eu lieu dans les années 1980-1990 et au début de la décennie 2000. « La crise résulte de trois grandes causes : la cupidité du secteur qui a été aveuglé par la facilité d’amasser des profits comme avec les prêts toxiques accordés à des municipalités ; la complexité et l’opacité des revenus générés par le secteur, avec l’utilisation massive de modèles qui ont montré leurs limites ; et la défaillance des organes de gouvernance des banques marqués par l’absence de garde-fou », soulignent Jean-Baptiste Bellon et Stéphane Voisin.

UNE CURE DE DÉSINTOXICATION OBLIGATOIRE

En dépit de ce diagnostic pertinent, des mesures de régulation instaurées et des nombreuses amendes versées, le secteur financier n’en reste pas moins convalescent et n’a pas regagné la confiance des investisseurs et des épargnants. L’exemple des banques européennes le prouve : elles restent très chahutées en Bourse, par rapport à leurs homologues américaines, et leur valorisation globale a fondu de 80 % depuis 2007, alors que les marchés financiers ont retrouvé, voire dépassé leurs niveaux d’avant-crise.

« Plus de dix ans après la crise, le secteur financier reste en panne. Le modèle bancaire d’intermédiation ne permet pas de prévenir les risques, car ils ne viennent qu’après les phases de développement et de croissance », déplorent les auteurs, tout en ajoutant que « Toutefois, la finance, ayant mal performé, a les capacités de se reprendre en y incorporant de la durabilité ». Surtout que les besoins de financement pour lutter contre le réchauffement climatique sont évalués à plusieurs trillions de dollars par an.

LES CRITÈRES ESG DOIVENT DOMINER DANS LES ÉVALUATIONS DES RISQUES

La deuxième partie de l’ouvrage intitulée « Detox Finance » comme le livre lui-même aborde les solutions permettant à la finance de contribuer à l’intérêt commun. Parmi les pistes fortement recommandées, figure l’intégration systématique des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les évaluations des projets d’investissement et de financement menées par les banques. Certes, ces critères extra-financiers ont pris davantage d’importance auprès des gestionnaires d’actifs, des fonds d’investissement, des investisseurs institutionnels et même des investisseurs particuliers, mais ce mouvement doit s’amplifier et s’accélérer pour que la finance puisse devenir durable avec un impact positif net sur la société.

« L’intégration de la durabilité par le secteur financier est très difficile à réaliser, car l’évaluation de la performance durable d’une organisation ou d’une entreprise est quasi-impossible. Et ce ne sont sûrement pas les agences de notation qui en sont capables ! Pour surmonter ce défi, le secteur financier doit essayer de transformer les analyses traditionnelles des risques en analyses ESG », recommandent les auteurs. Si, dans ce domaine, la France est relativement bien placée avec l’intégration des critères ESG par plusieurs grandes banques et la croissance des encours dans les investissements durables, les financements verts représentent à peine 1 % des portefeuilles des investisseurs dans le monde, d’après Climate Chance.

Pour augmenter cette proportion et réaliser davantage d’investissements verts ou désinvestir des actifs bruns (secteurs des énergies fossiles) en l’absence d’une réelle volonté politique d’imposer une tarification du carbone, les auteurs dédient un chapitre entier à une liste détaillée des solutions aptes à aligner les flux financiers sur la trajectoire de l’Accord de Paris. « Thermos finance » (chapitre 8) livre ainsi une analyse critique des outils émergents de mesure de la température des marchés, des obligations vertes (green bonds) ou encore la titrisation verte dont le développement est croissant, en particulier aux États-Unis.

« L’article 2 de l’Accord de Paris vise à mesurer l’empreinte carbone de tous les flux financiers dans l’objectif de décarboner l’économie. Pour ce faire, un système de mesure doit se développer. Et le plan d’action de la Commission européenne stipulant l’obligation de mesurer le carbone des indices de marché et des portefeuilles pourrait y contribuer », estiment les deux auteurs.

LA FINANCE D’IMPACT ET LA « CHLOROFINANCE » : DES SEGMENTS DE MARCHÉ INTÉRESSANTS

Au-delà du succès de l’intégration ESG et des green bonds, deux niches de marché prometteuses de la finance durable se sont développées ces dernières années. La première est la finance d’impact qui a pour objectif d’obtenir des résultats sociaux et/ou environnementaux concrètement mesurables comme la préservation de la biodiversité en finançant de l’agroécologie et/ou de l’agroforesterie par exemple. « Ces instruments récents proposent une panoplie d’indicateurs et d’objectifs quantifiables au-delà des seuls profits. D’ailleurs, le profit peut se définir plus précisément comment une performance positive dégagée tout en maintenant les capitaux financiers et non financiers », précisent les auteurs.

La deuxième concerne la chlorofinance qui est certes une niche très spécifique de la finance d’impact, mais non moins intéressante du fait de sa démarche : « Ce marché concerne à la fois le financement de projets ultra-verts, ainsi que l’absence de financement de certains projets qui permet de financer la conservation de la nature plutôt que de la production. C’est un changement de paradigme important à souligner, car il fait évoluer le couple rendement/risque en y incorporant une fonction d’utilité sociale », jugent Jean-Baptiste Bellon et Stéphane Voisin. Si ces segments de marché restent encore négligeables, ils permettront sans doute de rajouter des couches de durabilité bienvenues au secteur financier.

À l’heure où les banquiers et les régulateurs du monde entier, à travers les banques centrales et les acteurs financiers, multiplient les engagements pour une finance inclusive et durable, l’ouvrage « Detox Finance », constitue un guide utile pour y voir plus clair et tenter de réconcilier la finance avec l’intérêt général. 

Retrouvez la web TV de Stéphane Voisin

 

COMMENT COMBLER LE MANQUE DE DONNÉES POUR ÉVALUER FINANCIÈREMENT LES RISQUES CLIMATIQUES PHYSIQUES ?

Si les institutions financières doivent intégrer et prendre en compte les risques climatiques physiques contenus dans leurs portefeuilles, elles manquent cruellement de données pour le faire. Pourtant, l’exposition du secteur financier à ce type de risques va augmenter, en raison du dérèglement et du changement climatique. Pour réduire ces lacunes, deux chercheurs ont établi une grille de lecture des données climatiques disponibles.

 

Le réchauffement climatique provoque l’apparition de risques grandissants pour l’économie et le secteur financier. Parmi eux figurent les risques physiques : « Ils se caractérisent par les risques de destruction d’actifs ou de perturbation d’opérations et de chaînes d’approvisionnement par les phénomènes météorologiques liés au changement climatique et à la variabilité du climat », souligne Peter Tankov.

LE CLIMAT A ENTRAÎNÉ LA FAILLITE D’UN GÉANT ÉNERGÉTIQUE

Un exemple récent montre que ces risques ne sont pas à prendre à la légère par le secteur financier. En février 2019, Pacific Gas & Electric Company, considérée comme « l’EDF de la Californie », qui alimentait 16 millions de foyers, a dû se déclarer en faillite. Les raisons ? Sa mise en cause dans les feux de forêts qui ont dévasté le sud de la côte Ouest américaine. Avec des centaines de plaintes et des préjudices évalués à 30 milliards de dollars, ce géant de l’énergie a ainsi fait défaut. Et ce cas pourrait ne pas être isolé et se répéter dans le futur. Selon une étude publiée en 2016 par Nature Research, les risques physiques pourraient réduire la valeur des actifs financiers mondiaux d’un montant compris entre 2 500 milliards et 25 000 milliards de dollars ! À titre de comparaison, la faillite de Lehman Brothers a provoqué une réaction en chaîne qui a fait fondre la valeur des actions mondiales de 10 000 milliards de dollars.

Avec de tels chiffres, c’est un euphémisme de dire que le changement climatique est une source de risques grandissante pour le secteur financier. Et pour s’y prémunir ou du moins s’y préparer au mieux, les acteurs financiers ont tout intérêt à les évaluer finement, encore faut-il pouvoir y parvenir, sachant que ces risques combinent trois facteurs :

− l’aléa climatique représente la condition ou l’événement météorologique dont la fréquence et la gravité peuvent être affectées ;

− l’exposition caractérise la présence d’un actif ou d’un système pouvant être atteint par l’aléa ;

 

− la vulnérabilité se définit par l’ampleur des dégâts sur l’actif ou le système exposé.

« Les données climatiques sont nécessaires pour évaluer le type, la fréquence et la gravité des aléas climatiques qui représentent le premier facteur des risques physiques climatiques. L’évaluation des deux autres facteurs nécessite l’accès au niveau des données sur les actifs : la position géographique et les caractéristiques spécifiques des actifs ou des systèmes. Dans notre étude, nous nous sommes concentrés uniquement sur les données climatiques qui sont plus difficiles à recueillir et à analyser », explique Peter Tankov.

L’ÉVALUATION DES RISQUES CLIMATIQUES PASSE PAR LE CHOIX D’UN JEU DE DONNÉES ADÉQUAT…

Avant de se lancer dans une évaluation des risques climatiques physiques, les acteurs financiers doivent choisir un jeu de données sur lequel ils établiront leurs analyses. Ce choix dépend du type de risque et des variables à analyser. « L’étude d’un site spécifique nécessite des observations locales qui permettent de réduire les biais statistiques, car elles représentent bien la réalité. Cependant, elles n’ont pas une bonne couverture spatiale », observe Peter Tankov.

Pour une étude du climat régional, les réanalyses peuvent être privilégiées : « Les réanalyses sont des tournages de modèles climatiques sur une période historique, en utilisant toutes les observations comme contraintes de modèle. Ils fournissent une représentation fidèle de la réalité, surtout dans les régions et périodes bien couvertes par les données. Ils disposent également d’une couverture spatiale et temporelle large et uniforme », détaille Peter Tankov. Néanmoins, l’utilisation des données historiques repose sur l’hypothèse de stationnarité du climat sur des échelles de temps pertinentes pour l’étude. Or, il est évident que le climat ne peut pas être considéré comme stationnaire, comme en témoignent les évolutions néfastes pour la planète que sont la fonte des glaces, la hausse des températures des océans ou encore l’augmentation de la fréquence des canicules. En effet, la non-stationnarité est provoquée par la variabilité climatique naturelle se manifestant dans un laps de temps de 5 à 10 ans, ou par le changement climatique dont les effets sont visibles à plus long terme, à horizon de 20 à 30 ans. Dès lors, les acteurs financiers doivent utiliser des projections climatiques qui s’obtiennent avec des scénarios du climat futur générés par un modèle, lui-même conditionné par des hypothèses spécifiques sur l’activité économique.

« Ces hypothèses sont créées avec un raisonnement économique, mais les rétroactions du système climatique sur le système économique ne sont pas modélisées. En revanche, les modèles d’évaluation intégrée (IAM) visent à décrire conjointement l’évolution du système climatique et du système économique. Malheureusement, la plupart des IAM à ce jour ne sont pas suffisamment réalistes pour être utilisés dans l’analyse des risques physiques », regrette Peter Tankov.

… MAIS LES DONNÉES CONTIENNENT DES BIAIS ET LES MODÈLES SONT SOUMIS À DES INCERTITUDES

Une autre difficulté réside dans les nombreux biais présents dans les données climatiques. Et ces erreurs ne sont pas uniformes : certaines variables telles que la pluviométrie sont plus sensibles aux erreurs de mesure et de modèle que d’autres comme la température moyenne. Les biais sont plus forts aux échelles plus fines et dans les queues de distribution. La variabilité interne du climat et l’incertitude entre les modèles sont dominantes à court terme, tandis que des facteurs tels que le niveau des émissions de gaz à effet de serre dominent à plus long terme. « Il est donc important, dans les études d’impact basées sur les données climatiques, de tenir compte des erreurs de données, en utilisant des ensembles multi modèles, et des scénarios socioéconomiques différents », recommande Peter Tankov.