/>Les fonds souverains gèrent des milliards de dollars mais leurs pratiques sont encore peu connues. Font-ils preuve de suffisamment de transparence ?
La majorité des fonds souverains était très opaque, mais une évolution positive s’est dessinée après 2007. Cette année-là, la Chine a créé son fonds, suscitant des inquiétudes quant à ses intentions et à sa force de frappe potentielle. Puis, plusieurs fonds des pays émergents sont intervenus au capital des banques occidentales pour les soutenir après la crise. Plus de 50 milliards de dollars ont ainsi été apportés par les fonds souverains à des banques occidentales, entre juillet 2007 et octobre 2008
[2]. Si ces interventions ont été totalement consenties, elles ont également alerté l’opinion publique. Des peurs de pillage économique, de délocalisation d’entreprises nationales se sont développées, incitant les fonds souverains à communiquer pour rassurer sur leurs intentions et à signer des accords de bonnes pratiques en 2008.
Ces craintes étaient-elles justifiées ?
Ces craintes ont été en partie alimentées par le manque d’information sur ces fonds, mais elles n’étaient pas toutes rationnelles. Par ailleurs, les inquiétudes par rapport aux fonds souverains, qui peuvent encore être exprimées aujourd’hui, sont assez paradoxales. Elles proviennent essentiellement des pays développés, alors que les risques d’ingérence économique sont plus importants pour les pays émergents et en développement. La protection des petits actionnaires et la transparence financière y sont en effet plus limités, et la valeur de marché de leurs firmes moindre, ce qui les rend plus faciles à acquérir, dans des conditions parfois opaques. Le plus gros scandale impliquant un fonds souverain concerne d’ailleurs un investissement en Thaïlande, lorsque le fonds Singapourien Temasek a voulu racheter en 2006 les parts de la famille du premier ministre dans une compagnie de télécommunications locale …
Sous l’impulsion du FMI, une série de bonnes pratiques en matière de gouvernance a été énoncée par les Accords de Santiago en 2008. La signature de ces accords reste toutefois facultative et leur application n’est pas contrôlée. Ne faudrait-il pas définir certaines obligations pour les fonds souverains?
Les démarches d’information reposent en effet sur la base du volontariat ce qui est en soi assez naturel. Les motifs qui justifient l’encadrement des fonds de retraite ou des Sicav, par exemple, ne s’appliquent pas aux fonds souverains. Dans le premier cas, la loi vise à protéger les petits épargnants qui ne disposent pas d’expertise financière. Les Etats, pour leur part, sont de gros investisseurs qui possèdent les compétences et la surface financière nécessaires pour assurer la gestion des fonds souverains. Ils ont, de plus, autorité sur les gestionnaires du fonds, et peuvent, si nécessaire, changer la direction. Il est donc parfaitement normal que la réglementation des fonds mutuels, destinée à protéger les petits épargnants, ne s’applique pas aux fonds souverains. On peut toutefois argumenter que les citoyens ont un droit légitime à demander des comptes sur la gestion de leur richesse nationale dans le cadre des fonds souverains. Mais instaurer cette obligation relève de la politique interne des Etats, et donc de leur souveraineté nationale. Elle peut difficilement être décrétée de l’extérieur.
Cette absence d’obligation d’information est-elle bénéfique à la gestion des fonds souverains ?
Elle peut comporter certains avantages dans la mesure où elle permet aux fonds souverains d’adopter plus facilement un comportement acyclique, voire contracyclique. Avec un horizon d’investissement de long terme, ils peuvent, par exemple, acheter des actions en période de krach boursier, une stratégie qui s’avèrent souvent très bénéfique sur le long terme, et qui est par ailleurs stabilisatrice pour les marchés. A contrario, la transparence absolue n’est pas forcément positive. Les fonds classiques, qui doivent pour leur part publier très régulièrement leurs résultats, sont soumis à la pression court-termiste des épargnants. Aussi, lorsqu’un marché baisse, ils anticipent la demande de retrait des épargnants, et vendent les titres,
Ceci dit, le fonds souverain norvégien, réputé pour son efficacité, est aussi le plus transparent, tandis que les fonds souverains où la séparation entre politique et économique est mal définie sont souvent moins bien gérés. Une étude de 2013 de Bernstein, Lerner et Schoar
[3] montre ainsi que les fonds souverains dirigés par des politiques tendent à sous-performer. De plus, une forte opacité favorise gaspillages et détournements de fonds. Sans demander une information parfaite, la pression pour plus de transparence, enclenchée par les accords de Santiago, va donc dans le bon sens.
Propos recueillis par Coralie Bach
[1] Auteur de l’article Sovereign Wealth Funds as domestic investors of last resort during crises, et du chapitre sur les fonds souverains dans L’économie mondiale 2010, CEPII
[2] Etude publiée dans L’économie mondiale 2010, CEPII, d’après les données du SWF Institute, Bloomberg et de la presse financière
[3] Bernstein, Shai, Josh Lerner, and Antoinette Schoar.2013. “The Investment Strategies of Sovereign Wealth Funds.” Journal of Economic Perspectives, 27(2): 219-238.
Mots clés
Gouvernance, transparence, fonds souverains, Accords de Santiago