L’épargnant navigue aujourd’hui sur une mer houleuse : crise financière et économique rendant l’environnement plus incertain, risque macroéconomique lié au devenir du système de protection sociale, réformes fiscales, politiques “d’activation de l’individu” cherchant à le rendre davantage responsable de son avenir… Conséquence, l’épargnant français privilégie aujourd’hui plus encore qu’hier les actifs sûrs et de court terme (augmentation des dépôts sur livrets, baisse de la collecte nette des assurances vie, etc.) et les biens immobiliers au détriment des investissements financiers risqués et de long terme. Cet état de fait inquiète certains acteurs qui cherchent les moyens d’inciter les ménages à prendre plus de risque et privilégier une épargne productive.

Avant d’entrer dans ce débat, nous ferons un “audit” statistique de la situation patrimoniale des épargnants français et européens. Pour cela, nous utiliserons toute la palette des données disponibles : aussi bien celles de la Comptabilité Nationale que celles des enquêtes auprès des ménages menées en coupe instantanée par l’Insee (enquêtes “Patrimoine”) et la Banque Centrale Européenne ou BCE (enquête HFCS). Ces données nous permettront de constater que cette “énigme de la prime de risque” sur les actifs financiers risqués n’est pas un phénomène purement français mais se généralise à la zone euro.

Nous rappellerons ensuite les explications de ce “puzzle” empirique en chaussant les lunettes de l’économiste, qu’il soit plutôt adepte des théories orthodoxes ou de celles des comportementalistes : le manque d’appétence pour les placements boursiers tiendrait aussi bien à l’offre – coûts de transaction au sens large, fiscalité relativement peu avantageuse qui diminue le rendement espéré – qu’à la demande – manque d’éducation financière des épargnants, aversion au risque jugée trop élevée, exposition à d’autres risques (revenu, chômage, famille, santé, logement, capital humain).

Si l’on se place du côté de la demande, les choix de portefeuille des individus dépendent de trois grandes composantes : leurs préférences (aversion au risque, préférence temporelle, etc.), leurs ressources plus ou moins disponibles ou risquées, et leurs anticipations concernant le rendement et le risque vis-à-vis du marché boursier et le revenu du travail. L’expérience “naturelle” que constitue la crise financière et économique actuelle offre un observatoire idéal pour juger de l’importance de chacun de ces facteurs. Les données longitudinales uniques des enquêtes PATER nous permettent d’étudier les réactions des épargnants durant la “grande récession”, de voir “ce qui a changé” pour expliquer la frilosité accrue des investisseurs : accroissement de l’aversion au risque, baisse des ressources, anticipations pessimistes ? Nous serons ainsi mieux à même de juger de la pertinence de certaines propositions visant à réorienter l’épargne vers des produits plus risqués.

Luc Arrondel & André Masson