Meilleure connaissance du risque, offre et tarification personnalisées, mise en place de politiques de prévention, l’accroissement des données disponibles ouvrent de nouvelles perspectives en assurance.

 

L’accès à de nouvelles informations et le suivi possible de certains comportements, via les objets connectés, permettent d’améliorer considérablement la connaissance des assurés et de leur niveau de risque. De quoi personnaliser très finement l’offre et la tarification en fonction du client. Venu des pays anglo-saxons, le principe du « pay as you drive » propose aux conducteurs d’installer un boitier au sein de leur véhicule afin d’enregistrer les données liées aux kilomètres parcourus, à la vitesse, au niveau d’accélération et de freinage, etc. En contrepartie, les conducteurs les plus vertueux bénéficient d’une réduction de leur prime d’assurance. De tels exemples pourraient se multiplier, instaurant une assurance à la carte, et remettant ainsi en cause le principe de mutualisation des risques, et le fonctionnement même de l’assurance.

Changer la relation client
Les compagnies doivent donc trouver le juste équilibre entre segmentation et mutualisation, comme le souligne Arthur Charpentier, enseignant chercheur à l’université de Rennes 1 et à l’université du Québec.
Mais au-delà de la tarification, les datas offrent la possibilité de changer les relations clients, en conférant à l’assureur un rôle d’information et de prévention. Grâce à une connaissance élargie de ses clients et de leurs comportements, l’assureur pourrait anticiper certaines situations potentiellement risquées et conseiller les individus sur les bonnes pratiques à adopter. Des changements évoqués par Antoine Ermeneux, Directeur Marketing et Transformation Stratégiques chez Covéa.

Reste que ces perspectives soulèvent des interrogations quant à l’emploi des données et son encadrement : quelles données peuvent-elles utilisées par les assureurs ? Dans quel but ? Peuvent-elles motiver un refus de contrat ? Quelles sont les garanties données aux citoyens ? Un pacte de conformité, élaboré conjointement par la CNIL et la FFSA (Fédération Française des Sociétés d’Assurances), fournit des éléments de réponse et pose les bases des bonnes pratiques de la profession. Le Directeur adjoint aux Affaires juridiques de la fédération, François Rosier revient sur les grandes lignes de ce texte.

Le principe de mutualisation est remis en cause par les données

Arthur Charpentier, enseignant chercheur à la faculté de sciences économique de l'université de Rennes 1 et au département de mathématiques de l'université du Québec à Montréal, est co-titulaire de la chaire «Valorisation et nouveaux usages actuariels de l’information ». Il explique pourquoi le big data remet en cause les fondamentaux de l’assurance.

Charpentier-arthurEn quoi la massification des données bouleverse les principes de l’assurance ?

La base de l’assurance est de regrouper des personnes afin de constituer une mutualité. Le prix des primes est calculé de sorte à couvrir le coût moyen des sinistres de cette mutualité.

L’arrivée de nouvelles données commence à remettre en cause ce principe de mutualisation, au profit d’assurances à la carte. La segmentation en fonction du profil de l’assuré est de plus en plus fine.

 

Différencier les produits et tarifs en fonction des caractéristiques du client, comme son âge ou son lieu d’habitation, n’est pas nouveau…

La segmentation a toujours existé. Un jeune conducteur, par exemple, paie davantage qu’un conducteur plus expérimenté. Mais elle peut s’effectuer aujourd’hui à un niveau beaucoup plus fin grâce aux données GPS ou celles des objets connectés notamment. La question est donc de savoir jusqu’où il est souhaitable d’aller ? Quel est le bon équilibre entre segmentation et mutualisation ?

Si on exclut l’idée de faire du bénéfice (ce qui n’est pas la vocation des mutuelles), l’assurance est « un «jeu à somme nulle ». Autrement dit, si les tarifs de certains clients baissent, d’autres augmenteront nécessairement, au risque d’exclure certaines personnes du marché, comme cela a pu être le cas pour les jeunes conducteurs en Irlande, avec des tarifs proposés très élevés.

Il s’agit donc d’une vraie question de société sur laquelle la recherche peut apporter des éléments de réponse.

 

Les assureurs ne seront-ils pas tentés de choisir uniquement les profils les moins risqués ?

Certains assureurs peuvent être tentés de chercher des niches, des segments peu risqués, et plus profitables. Mais la recherche de niche est un jeu dangereux. Il devient de plus en plus dur de distinguer le signal du bruit, et de s’assurer que la niche perdurera dans le temps. Il faut aussi tenir compte de biais de sélection dans la base.

 

Quels sont les autres risques d’une sur segmentation ?

En s’appuyant sur une plus large base d’informations, des compagnies vont mener des stratégies tarifaires assez agressives. Cela risque de générer une forte volatilité des primes d’assurance et d’entrainer d’importants mouvements chez les assurés.

 

Encourager la concurrence entre les compagnies d’assurance n’est-il pas souhaitable?

D’importants mouvements des assurés peuvent en tous cas soulever certaines problématiques. Aujourd’hui, les assureurs gardent souvent leurs clients plusieurs années et peuvent donc mutualiser les risques et les coûts associés dans le temps. Les jeunes conducteurs ont toujours plus d’accidents que la moyenne, mais avec les années d’expérience, leurs risques diminuent. Une compagnie peut donc accepter d’assurer un nouveau conducteur, à un tarif raisonnable, en misant sur le fait qu’elle le conservera comme client les années suivantes. Cette mutualisation dans le temps ne sera plus possible si les assurés deviennent plus volatiles.

Leurs comportement sont encore mal connus et compris. Au-delà de la tarification et de la création de produits, l’arrivée de nouvelles données peut aider à mieux les comprendre: pourquoi choisit-on un contrat plutôt qu’un autre ? Dans le cas des couvertures non-obligatoires, pourquoi décidons-nous de nous assurer ou pas ? Les données permettent de s’intéresser à l’assurance en tant qu’activité économique.

 

Les assureurs s’appuient sur des modèles mathématiques afin de prédire la sinistralité de leur portefeuille. L’ajout de nouvelles données peut-il permettre d’améliorer ces prédictions ?

Les algorithmes permettent déjà de prédire de façon très fine la probabilité qu’un sinistre survienne dans l’année. Les nouvelles données ne vont rien changer sur ce point tant que le cycle de production ne sera pas inversé. Par contre, elles seront certainement utiles sur le plan de la prévention. Grâce aux objets connectés, ou encore aux voitures intelligentes, il est désormais possible de détecter les comportements à risque. Des actions de prévention adéquates pourraient alors être mise en place.

 

Nous allons devoir assurer des usages plutôt que des usagers

Avec plus de 11 millions d’assurés, Covéa recouvre les marques MAAF, MMA, GMF. Le groupe mutualiste vient par ailleurs de lancer une chaire de recherche sur le thème «Valorisation et nouveaux usages actuariels de l’information ».
Antoine Ermeneux, ‎Directeur Marketing et Transformation Stratégiques, revient sur les enjeux du big data pour les métiers de l’assurance.

 

<h4><span style=”color: #74a7de;”><a href=”https://www.louisbachelier.org/wp-content/uploads/2016/02/Ermeneux-Antoine-Covea.jpg” rel=”attachment wp-att-51807″><img class=” wp-image-51807 alignleft” src=”https://www.louisbachelier.org/wp-content/uploads/2016/02/Ermeneux-Antoine-Covea-300×300.jpg” alt=”Ermeneux-Antoine-Covea” width=”202″ height=”202″ /></a>Le big data a-t-il déjà changé la manière d’exercer le métier d’assureur ?</span></h4>
<p>Le big data modifie toute la chaine de valeur de l’assurance et implique de revoir l’ensemble de nos métiers, de l’actuaire au commercial. La première évolution porte sur le périmètre même de l’assurance. Jusqu’à présent, nous assurions un objet de risque (une auto, une habitation) liée à un usager bien identifié (un conducteur, une famille).</p>
<p>Or avec l’essor de l’économie collaborative, l’usage remplace de plus en plus la propriété : nous allons devoir assurer des usages plutôt que des usagers. Le véhicule d’un particulier est désormais utilisé par plusieurs conducteurs, et la résidence principale est louée ponctuellement. Le périmètre du risque d’assurance devient ainsi de plus en plus flou.</p>
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<h4><span style=”color: #74a7de;”>La multiplication des données offre également une meilleure connaissance du client et ainsi des possibilités de personnalisation…</span></h4>
<p>Aujourd’hui, l’interaction entre un assureur et ses clients est assez faible. Les contacts sont très rares et se réduisent trop souvent à la souscription du contrat et à la déclaration d’un sinistre. Ainsi en assurance automobile, la moyenne est d’environ un sinistre tous les 5 ans, contre un sinistre tous les 10 ans en habitation. Le numérique permet de créer une nouvelle proximité avec les assurés et d’instaurer un attachement via des dispositifs d’accompagnement et de prévention. Dans les années à venir, notre métier consistera moins à indemniser des sinistres, qu’à prévenir et réduire les risques.</p>
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<h4><span style=”color: #74a7de;”>Comment cet accompagnement pourrait-il se concrétiser ?</span></h4>
<p>Grâce aux objets connectés, aux données météorologiques ou encore GPS, il est possible de contextualiser de façon très précise les usages et les comportements. De plus, les outils de communication permettent d’envoyer des messages quasi instantanément et pour un faible coût. De nombreuses possibilités sont donc ouvertes, comme par exemple, adresser un sms à un conducteur pour l’inviter à faire réaliser le contrôle technique de son véhicule, ou conseiller à nos clients de couper l’eau avant leur départ en vacances. En tant qu’assureur, nous pouvons mettre notre connaissance du risque au service de nos assurés.</p>
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<h4><span style=”color: #74a7de;”>Au sein de Covéa, utilisez-vous déjà les données pour réduire ou anticiper certains risques ?</span></h4>
<p>Nous avons mis en place une modélisation de l’impact des aléas climatiques sur notre portefeuille. Ce travail nous permet notamment de prédire les impacts d’une tempête, en fonction de son intensité. Selon ces prévisions, nous pouvons organiser un dispositif de gestion exceptionnel afin d’être en mesure d’accélérer le traitement des demandes et les indemnisations.</p>
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<h4><span style=”color: #74a7de;”>Une connaissance plus fine des individus et de leurs comportements pourrait également servir à sélectionner les assurés. Des inquiétudes se font entendre quant à une exclusion des « mauvais profils » …</span></h4>
<p>Cette crainte ne me paraît pas fondée. Tout d’abord, une fraction de l’aléa ne pourra jamais être prédite, même avec l’ajout des données, notamment parce qu’une partie des sinistres n’est pas de la responsabilité de l’assuré mais de tiers. Une éventuelle sélection des « bons profils » est, de fait, forcément limitée.</p>
<p>Ensuite, il n’est pas dans l’intérêt des assureurs d’exclure, par une tarification trop élevée, un large pan de la population. Cette part de marché serait captée par d’autres acteurs. De plus, une tarification très échelonnée générerait un coût de gestion trop important pour les compagnies d’assurance, et ne se justifierait pas d’un point de vue économique.</p>
<p>Enfin, l’objectif des assureurs est de fidéliser leurs clients et de les couvrir dans les différents aspects de leur vie. Imposer une forte hausse à un assuré pour son contrat automobile, par exemple, c’est prendre le risque de perdre ce client pour l’ensemble de ses contrats (habitation, santé, etc.). Or acquérir un client coûte cher, environ 200€. L’enjeu repose donc plus sur la fidélisation et la prévention que sur la sanction.</p>

Un assuré ne peut être réfusé au seul motif d’un traitement automatisé de données

A l’occasion d’une conférence de l’EIFR sur les données personnelles dans le secteur financier, François Rosier, Directeur adjoint aux Affaires juridiques à la FFSA (Fédération Française des Sociétés d'Assurances), est revenu sur les règles régissant l’utilisation de données par les assureurs.

 

L’assurance est le premier secteur réglementé à faire l’objet d’un pacte de conformité avec la CNIL sur l’utilisation des données personnelles. Quelle est l’origine de ce projet ?

La démarche a été initiée par la CNIL fin 2012 afin de mettre à jour certaines règles déjà en vigueur, et d’établir conjointement une série de bonnes pratiques. Durant deux ans, nous avons travaillé ensemble afin de construire un véritable outil de pilotage de la conformité. Ce processus a donné naissance à 5 délibérations qui recouvrent l’ensemble des données traitées par l’assurance.

Le pack constitue également pour les assureurs une étape importante pour anticiper les futures exigences du projet de règlement européen sur la protection des données.

 

Quelles sont les principales règles qui régissent les pratiques des assureurs ?

Le texte essentiel est celui de la norme 16 de la loi de 1981, qui vient d’être mis à jour pour le pack de conformité établi avec la CNIL. Cette norme porte sur la passation, la gestion et l’exécution des contrats d’assurance.

Elle définit notamment une liste de catégories de données pouvant être utilisées, ainsi que les finalités de leurs collectes. Quant à la durée de conservation, elle doit être cohérente avec les délais de prescription du contrat d’assurance. Concrètement, des informations liées à un dégât des eaux pourraient être conservées pendant 2 ou 3 ans après l’indemnisation, en l’absence de recours en responsabilité, tandis que des données portant sur des préjudices physiques, couverts par une responsabilité professionnelle, pourraient être sauvegardés durant plusieurs dizaines d’années.

Enfin, le texte reprend l’interdiction de refuser la souscription d’un contrat à une personne au seul motif « d’un traitement automatisé de données à caractère personnel.»

 

Des contraintes supplémentaires s’appliquent aux données de santé…

La nouvelle version de la norme 16 prend en compte le cadre juridique spécifique aux données de santé. Leur collecte et traitement doivent faire l’objet d’un consentement express de la part de l’intéressé, étant précisé qu’en matière d’assurance santé les contrats sont souscrits sans poser de questions médicales. Par ailleurs, ces données ne peuvent en aucun cas être utilisées dans le cadre d’actions commerciales vers les clients ou prospects (norme 56).

 

Le développement des pratiques big data ouvre de multiples opportunités aux assureurs mais pose quelques questions quant à leur encadrement et contrôle…

Tout d’abord, la masse de données disponibles ne change en rien les obligations  réglementaires auxquelles sont soumises les compagnies d’assurance. Ensuite, nous ne savons pas encore quels nouveaux critères d’évaluation des risques seront effectivement utilisés. Le questionnaire rempli par l’assuré restera le canal privilégié. Les mesures de sécurité nécessaires sont prises afin d’accéder aux données, dans des conditions qui permettent de garantir la protection de la vie privée.