Le thème de la gouvernance s’est taillé une place de choix dans le débat public. Une tendance qui reflète les évolutions – parfois lentes mais réelles – des attentes des actionnaires, du public, des institutionnels et des entreprises elles-mêmes. Au point, d’ailleurs, de modifier les critères d’évaluation des agences de notation. A quelles problématiques sont-elles sensibles ? Quels risques devraient s’imposer comme des enjeux majeurs à l’avenir ? Plusieurs pistes émergent de l’interview de Cristina Daverio, Research ManagerFinancials sector chez Vigeo Eiris, une agence spécialisée dans les critères ESG (environnement, social et gouvernance).

 

Votre méthodologie pour évaluer la gouvernance des entreprises a-t-elle évolué au fil du temps ?

La méthodologie de Vigeo Eiris pour évaluer la gouvernance des entreprises s’appuie sur des thématiques et des standards reconnus à l’échelle internationale. Nous évaluons les procédures et structures dont disposent les sociétés pour superviser et contrôler leur direction, assoir les principes de responsabilité, protéger les intérêts des actionnaires et œuvrer en faveur des intérêts économiques de l’entreprise sur le long-terme.

Nous construisons nos audits en nous appuyant sur les recommandations des institutions internationales (OCDE, Commission européenne, Banque mondiale…), ainsi que sur les standards nationaux d’un certain nombre de pays. Nous avons remarqué qu’au fil du temps, les bonnes pratiques recommandées par les Etats en matière de gouvernance se sont non seulement imposées au sein des entreprises européennes, mais qu’elles font aussi l’objet d’une législation toujours plus poussée à un niveau européen.     

 

Certains thèmes bénéficient d’une plus grande visibilité, comme actuellement le rôle des conseils d’administration ou encore la parité : est-ce que cela influence votre méthode d’évaluation ?

La convergence entre les problématiques de gouvernance et de RSE (responsabilité sociale des entreprises) s’est renforcée au cours des dernières années, tant du côté de la législation que des attentes des diverses parties prenantes.

En 2015, nous avons intégré de manière plus poussée les enjeux ESG dans notre méthode d’évaluation de la gouvernance. Cela a fait évoluer notre cadre d’analyse et les questions ESG sont  désormais étudiées sous différents angles : présence d’un conseil d’administration diversifié et équilibré qui œuvre pour une croissance durable, intégration des facteurs de risque liés à la durabilité dans le contrôle interne et la gestion des risques, capacité à dialoguer avec les actionnaires autour des enjeux ESG et, enfin, adoption de politiques salariales ayant une perspective durable. 

 

Ces nouveaux thèmes sont-ils mis en avant à la demande des investisseurs eux-mêmes ? Comment sont-ils perçus par les entreprises ?

En septembre 2015, les PRI (Principles for Responsible Investment), UNEP FI (initiative Finance du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement), UNEP Inquiry et UN Global Compact ont publié le rapport « Fiduciary Duty in the 21st Century » (« Déclaration internationale sur les obligations et devoirs des investisseurs »). L’objectif de ce rapport était de mettre un terme au débat qui questionnait la légitimité de l’intégration des critères ESG parmi les obligations et devoirs des investisseurs. Malgré cette prise de position, nombre d’investisseurs institutionnels n’intègre pas encore de manière systématique les critères ESG dans leur méthode de placement et n’engage pas de dialogue sur le sujet avec les entreprises.

Quelques progrès significatifs méritent cependant d’être soulignés. Ainsi, début 2017, des investisseurs institutionnels de premier ordre se sont accordés autour d’un code de gérance aux Etats-Unis. Sous la bannière commune de « Investors Stewardship Group », ils ont publié six principes fondamentaux (« Stewardship code ») qui concernent tant les investisseurs que les entreprises. Un tel code de gérance n’avait pas vu le jour depuis le premier en la matière, qui datait de 2010, au Royaume-Uni. Les membres fondateurs de ce groupe gèrent pour 17 000 milliards de dollars d’actifs et l’on compte parmi eux BlackRock, CalSTRS, le Florida State Board of Administration, ainsi que des investisseurs internationaux comme le fonds souverain de Singapour GIC, Legal and General Investment Management et PGGM.  Leur objectif est de « codifier les principes fondamentaux d’une bonne gouvernance d’entreprise » et d’établir des exigences communes aux entreprises et à leurs investisseurs institutionnels.

 

Existe-t-il un biais culturel dans les approches d’évaluation de la gouvernance à travers le monde ?

Si l’on envisage la gouvernance d’un point de vue national, les sujets sur lesquels se concentrent les entreprises – et qui transparaissent donc dans leur reporting et leur performance – semblent en effet liés à leur pays d’origine. Les entreprises des pays anglo-saxons sont ainsi transparentes sur tous les sujets de politique salariale et leur conseil d’administration est très indépendant. Les sociétés françaises, belges et néerlandaises portent plus d’intérêt aux thématiques sociales et prennent soin de les intégrer dans leur politique de gouvernance, ainsi que dans leur reporting sur la gestion des risques. Au-delà de ces quelques particularités, les thématiques liées à la gouvernance sont relativement similaires dans tous les pays qui disposent de structures et législations avancées sur le sujet. L’attention porte notamment sur la rémunération des dirigeants, l’indépendance et la diversité du conseil d’administration, le reporting extra-financier et les nouvelles exigences nationales et internationales sur le sujet.

En France, la gouvernance des entreprises cotées a considérablement évolué ces dernières années, sous l’impulsion d’un actionnariat étranger toujours plus important. Sur des sujets clés, comme l’indépendance des administrateurs et des comités du conseil, le régime de gouvernance français se rapproche des meilleures pratiques existantes. Le Code de gouvernance de l’Afep-Medef, de novembre 2016, a également émis de nouvelles recommandations visant à accroître la responsabilité sociale des entreprises et à clarifier la politique de rémunération des dirigeants. La  loi Sapin 2 a également permis la mise en place d’un « say on pay » contraignant, qui donne un droit de regard aux actionnaires sur la rémunération des dirigeants.

 

Quels sont, d’après vous, les thèmes de gouvernance qui vont gagner en importance ?

Parmi les sujets actuellement débattus, certains nous semblent particulièrement pertinents. Citons ainsi la gestion des risques, notamment le rôle du conseil d’administration dans l’identification et la gestion des risques émergents, comme la cybersécurité ; ou encore la rémunération des PDG et la question des écarts de salaire dans l’entreprise ; l’intégration de critères ESG  dans les objectifs des cadres dirigeants ayant une part de rémunération variable ; l’adoption d’une politique fiscale claire et transparente. Ces sujets ont récemment fait l’objet de nouvelles exigences de la part des régulateurs et des investisseurs.

De plus, l’accent devrait être mis sur la notion d’intégrité et sur la mise en pratique des valeurs promues par les entreprises, les engageant sur leur parole. Cela pourrait encourager les sociétés à adopter un comportement plus vertueux. Car rappelons que le Conseil de stabilité financière alertait, en février 2015, les ministres des Finances du G20 et les Gouverneurs des banques centrales, dans une lettre  qui dénonçait l’ampleur des mauvais comportements adoptés par certaines institutions financières, ampleur telle qu’elle crée un risque systémique.