Alors que la parité entre les hommes et les femmes est de plus en plus débattue dans de nombreux pays, notamment en France, une étude scientifique récente a mis en exergue le lien entre le rôle des femmes dans la société et leurs performances cognitives après 50 ans.

Cette étude inédite dans la littérature – produite par Eric Bonsang, professeur associé au Legos de l’Université Paris-Dauphine et chercheur à la chaire Santé, ainsi que Vegard Skirbekk et Ursula M. Staudinger de l’Université Columbia –  a été présentée dans la revue Psychological Science et plaide pour davantage d’égalité entre les sexes. Son auteur principal, Eric Bonsang a répondu aux questions de l’ILB.

 

ILB : Pourquoi vous êtes-vous intéressés au lien entre les performances cognitives des femmes après 50 ans et l’égalité entre les sexes ?

Eric Bonsang : Lors d’analyses précédentes, nous avons remarqué des différences considérables d’un pays à l’autre, entre les scores masculins et féminins obtenus par différents tests cognitifs. Dans les pays d’Europe du Nord, les femmes ont tendance à surpasser les hommes aux tests de mémoire, par exemple, alors que c’est inverse dans plusieurs pays d’Europe du Sud. Nous avons donc cherché à comprendre les raisons de ces variations de scores cognitifs et avons émis l’hypothèse que les femmes qui vivent dans une société plus traditionnelle à l’égard des rôles de genre et offrent donc un accès moindre aux femmes à l’éducation et à l’emploi développent alors une performance cognitive plus faible plus tard dans la vie que les hommes du même âge.

Quel est le périmètre de votre étude ? D’où proviennent les données recueillies? 

Notre étude porte sur 27 pays, en majorité développés comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Suède etc…, mais aussi des pays émergents tels que l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud et en développement comme le Ghana.

Pour réaliser nos travaux, nous nous sommes appuyés sur plusieurs enquêtes qui sont accessibles aux chercheurs gratuitement, dont Share (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe) ou Sage (Study on Global Ageing and Adult Health). Au total, nous avons collecté et analysé des données mesurant les performances cognitives de 226 661 personnes (tout sexe confondu) âgées de 50 à 93 ans et qui sont nées entre 1920 et 1959.

Quels types de tests cognitifs ont été pratiqués dans les enquêtes que vous avez utilisées ?

Dans l’enquête Share, par exemple, dix mots communs sont énoncés à des hommes et des femmes de plus de 50 ans, qui doivent en répéter un maximum dans la foulée, puis dix minutes après. Un autre test cognitif consiste également à leur demander de mentionner un maximum de noms d’animaux en une minute. Par ailleurs, dans une autre enquête mondiale, il est demandé aux hommes et femmes de confirmer ou d’infirmer l’assertion suivante : « Quand les emplois sont rares, les hommes devraient avoir plus le droit à un travail que les femmes ». Les réponses permettent d’évaluer le degré d’égalité au sein d’un pays et la perception qu’ont les hommes et les femmes de leur rôle respectif.

Comment avez-vous utilisé les données ?

Nous avons effectué une première analyse entre les pays en calculant les différences des performances cognitives entre les hommes et les femmes. Cette étape nous a permis de classer les performances cognitives entre genre, en fonction de leur pays d’origine. Notre hypothèse de départ a été ainsi vérifiée, car dans les pays les plus égalitaires entre genre, les femmes de plus de 50 ans ont de meilleures performances que les hommes et inversement. Ensuite, nous avons divisé notre échantillon en trois cohortes pour mesurer les conséquences des évolutions dans le temps, du rapport entre les hommes et les femmes sur les performances cognitives.

Pourriez-vous détailler vos résultats ?

La Suède est le pays dans lequel les femmes de plus de 50 ans ont les meilleures performances cognitives par rapport aux hommes. C’est aussi dans ce pays que les gens sont le moins d’accord avec l’assertion « Quand les emplois sont rares, les hommes devraient avoir plus le droit à un travail que les femmes ». On retrouve ensuite le Danemark, les Etats-Unis et les Pays-Bas. Tous ces pays ont en commun d’avoir un degré d’égalité élevé entre les sexes. À l’opposé, en Inde et au Ghana, les femmes de plus de 50 ans ont les performances cognitives les plus mauvaises par rapport aux hommes.

Où se situe la France dans ce domaine ?

La France figure au milieu de notre classement, proche de pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suisse, mais devant des pays du sud de l’Europe (Italie, Espagne).

L’amélioration de l’égalité entre les sexes dans le temps accroit-elle les performances cognitives des femmes de plus de 50 ans ?

Effectivement. Nos résultats montrent que dans les pays où les cohortes sont devenues plus égalitaires dans le temps, les performances cognitives se sont améliorées chez les femmes de plus de 50 ans. C’est notamment le cas en Espagne. Au contraire, en Inde, l’attitude à l’égard des femmes n’a pas beaucoup évolué et leurs performances sont beaucoup moins bonnes.

L’attitude envers les femmes dans un pays a-t-elle plus de conséquences sur leurs performances cognitives que le degré de développement du pays concerné ?

Il existe un lien de corrélation positif entre le développement d’un pays et la cognition chez les femmes, comme l’ont démontré plusieurs études. Mais, avec notre travail, nous pouvons désormais affirmer que l’attitude envers les femmes est plus importante que le degré de développement d’un pays pour expliquer la différence des performances cognitives entre les hommes et les femmes après 50 ans.

Quelles sont vos recommandations ?

Il est évident que davantage d’égalité entre les sexes est souhaitable et nécessaire. Les hommes et les femmes ne devraient pas être traités différemment, car cela affecte les performances cognitives des femmes après 50 ans. Par exemple, dans des sociétés plus traditionnelles, le cycle de vie des femmes, en termes d’accès à l’éducation et donc au marché du travail peuvent conduire à la diminution de leur cognition après 50 ans. À l’inverse, dans une société plus égalitaire, les femmes sont plus éduquées et plus insérées sur le marché du travail avec de meilleures fonctions cognitives. Sans oublier que la cognition est un facteur améliorant la productivité, ce qui n’est pas négligeable sur le plan économique.

Pour conclure, sur quels aspects allez-vous continuer vos travaux ?

Dans un futur proche, nous allons poursuivre nos recherches pour déterminer si les femmes décident par elle-même de devenir mère au foyer ou si ce sont les contraintes institutionnelles qui les incitent à rester à la maison. En Inde, par exemple, les structures de garde d’enfants sont beaucoup moins développées que dans un pays du nord de l’Europe.