Depuis des décennies, de nombreux chercheurs s’emploient à trouver des explications rationnelles et irrationnelles aux comportements boursiers. La panique qui a suivi la chute de Lehman Brothers et qui a rapidement gagné les places financières du monde entier a montré qu’il était encore très difficile, voire impossible, de prévoir et d’anticiper avec certitude les comportements des opérateurs de marché. Comment prendre une décision d’investissement lorsque les marchés ne sont plus guidés par les fondamentaux mais par la réaction spontanée et subjective des opérateurs de marché ? En la matière, la finance comportementale progresse. Dans ce compartiment de la recherche qui mêle science psychologique et finance, les sujets de recherche couvrent un grand nombre de problématiques.
 
Des éléments exceptionnels, extérieurs aux fondamentaux peuvent venir parasiter les prises de décision des investisseurs. C’est le cas notamment de la catastrophe impliquant brutalement une entreprise cotée. Ce type d’accident laisse l’investisseur sujet au doute et à l’incertitude, avec pour seule source d’information la couverture médiatique de l’événement. Nombreux sont les biais cognitifs qui peuvent venir perturber les prises de décisions des opérateurs de marché. Les individus biaisés peuvent réagir de façon subjective et irrationnelle dès lors qu’entrent en jeu des considérations de perte ou de gain. Pour appréhender ces biais au niveau collectif, des chercheurs ont imaginé la notion d’agent représentatif : un agent fictif à même de représenter une économie peuplée d’agents aux croyances et aux préférences hétérogènes. Parmi les biais les plus fréquents se trouvent l’aversion à l’ambiguïté et le biais de confirmation. L’aversion à l’ambiguïté est une situation dans laquelle, les opérateurs de marché ne sont plus à même d’évaluer leur chance de gains ou de pertes avec une précision suffisante. Cette aversion peut mener à des situations de krachs ou de bulles. A cela, s’ajoute le biais de confirmation qui est une tendance à porter plus d’attention aux informations qui viennent confirmer un a priori qu’à celles qui l’infirment. La présence d’opérateurs sujets à ce biais dans un marché donné peut induire une allocation d’actifs particulière. Néanmoins, dans certains cas, les fondamentaux peuvent prendre le pas sur le sentiment des investisseurs, qui n’entre alors pas ou peu en compte dans l’évolution des cours des titres en Bourse. 
 
De la représentation d’un groupe par un agent comportemental fictif unique aux notions de biais de confirmation et de biais d’ambiguïté, en passant par l’impact de la couverture médiatique sur les cours boursiers, tous ces enjeux sont rassemblés dans cette édition des cahiers de l’Institut Louis Bachelier. Des thématiques diverses qui rejoignent une même ambition : optimiser les choix d’allocation d’actifs pour les investisseurs en période trouble.
 
 
Comment intégrer les biais comportementaux dans les décisions d’investissement ?

Qu’est ce qui motive une introduction en Bourse ?

D’après un entretien avec François Derrien et l’article « How much does investor sentiment really matter for equity issuance activity ? » coécrit par François Derrien, HEC Paris, et Ambrus Kecskés, Virginia Polytechnic Institute and State University, Pamplin College of Buisness.
 
A quel moment une firme s’introduit-elle en Bourse ? La décision d’ouvrir son capital est-elle liée à la bonne santé des indicateurs économiques fondamentaux ou au ressenti des investisseurs ? La littérature classique tend à donner une importance non négligeable au sentiment des opérateurs dans les prises de décisions d’introduction en Bourse. Dans leur travail de recherche, François Derrien et Ambrus Kecskés ont éprouvé l’importance des facteurs fondamentaux. 
 
Le sentiment des investisseurs a-t-il autant d’incidence sur les introductions en Bourse que la littérature classique le suggère ? François Derrien et Ambrus Kecskés ont voulu éprouver ce paradigme en testant l’importance de la prise en compte des données fondamentales lors des émissions d’actions. Pour ce faire, ils ont mené une étude sur 631 firmes pétrolières et gazières canadiennes entrées en Bourse entre 1986 et 2001.
En choisissant cette industrie, les chercheurs ont pu évaluer de façon précise l’impact des fondamentaux micro-économiques. Dans ce secteur, les données sont accessibles. De plus, les caractéristiques propres à ce compartiment de la cote, telles que l’évolution du cours du baril de brut ou les volumes de production, sont aisément identifiables et quantifiables. La zone Canada a été choisie pour son échantillon représentatif. Au cours des seize années examinées dans l’étude, plus de 600 entreprises pétrolières ont fait leur entrée en Bourse au Canada, contre une centaine environ aux Etats-Unis. La plupart de ces firmes sont de petite ou moyenne taille, contrairement aux mastodontes américains. 
 
L’émission d’actions, un indicateur de la confiance des investisseurs ?
Dans la littérature classique, nombreux sont ceux qui ont mis en avant l’importance du ressenti des investisseurs lors d’une introduction en Bourse, partant du constat que la valeur des actions sur le marché ne reflétait pas toujours la réalité de la conjoncture économique. Un travail mené par Ritter montre que les sous-performances enregistrées par les firmes pétrolières entre 1975 et 1984 sont une preuve a posteriori d’une sous-évaluation liée à la perte de confiance des investisseurs. Dans le même registre, les travaux de Baker et Wurgler en 2006 concluent qu’il est possible de considérer l’activité d’émission d’actions comme un indicateur du moral des investisseurs. Par ailleurs, il est courant de lire que les entreprises de petite taille, qui n’ont pas encore atteint la rentabilité mais qui disposent d’un important potentiel de croissance sont les plus exposées au sentiment des investisseurs. C’est pour éprouver cette thèse que François Derrien et Ambrus Kecskés ont choisi d’analyser des sociétés canadiennes de petite et moyenne taille, soit exactement celles que la recherche classique évalue comme particulièrement sujettes au ressenti des boursiers. 
 
Un paradigme fortement questionné
Pour François Derrien et Ambrus Kecskés, « dans la littérature existante, il est très difficile de trouver des mesures exhaustives et précises des fondamentaux ». Bien souvent, les chercheurs s’emploient à évaluer l’impact relatif de la confiance des investisseurs et des données macro-économiques (telles que le PIB par exemple) sur l’activité d’émission d’actions. 
Dans un premier temps, François Derrien et Ambrus Kecskés vont appliquer les fondamentaux dits « traditionnels » (croissance du PIB) à leur étude de cas. Le constat est conforme à celui que fait la littérature classique. Dans ce cas, le ressenti des investisseurs a une incidence sur les introductions en bourse. 
 
Plus les fondamentaux sont précis, moins le sentiment entre en compte
Dans un deuxième temps, les chercheurs vont refaire les tests en appliquant les données spécifiques à l’industrie pétrolière telles que la production de pétrole, le nombre de puits forés, les investissements dans l’industrie pétrolière et gazière… Pour les chercheurs, le résultat est probant : « quand nous appliquons les mesures propres à notre industrie à la place des mesures traditionnelles conjoncturelles (croissance du PIB par exemple), nous constatons que les volumes d’introductions en bourse s’expliquent beaucoup plus par les fondamentaux que par le sentiment de confiance des investisseurs », analyse François Derrien.
Ainsi, lorsque les fondamentaux sont mesurés avec précision, le ressenti n’a que très peu d’incidence sur l’activité d’émission d’actions. Le chercheur explique ce constat par les enjeux qui sont propres à chaque industrie : « les préoccupations d’une firme pétrolière ou d’un groupe spécialiste du BTP au moment de l’introduction en Bourse sont souvent bien loin des fondamentaux macro-économiques mondiaux. En revanche, les données sectorielles ont une réelle incidence sur les choix de l’entreprise », poursuit-il.
En conclusion, les auteurs de l’article invitent les chercheurs à la prudence quant à l’utilisation de l’activité d’émission d’actions comme indicateur de la confiance des investisseurs. 
 
Méthodologie 

L’étude de cas se base sur l’analyse de 631 firmes pétrolières et gazières canadiennes introduites en bourse entre 1986 et 2001. Dans un premier temps, les chercheurs appliquent les variables de la recherche traditionnelle, telles que évalués par Lowry en 2003 (par exemple, la croissance du PIB). Ils vont, dans un second temps, refaire les évaluations en modifiant les variables. Les mesures des données seront alors plus précises et adaptées à l’industrie étudiée. Les chercheurs vont utiliser le TSE Oil and Gas Index pour mesurer les fondamentaux. Les proxies « sentiments » utilisés sont le Baker and Wurgler sentiment et le MCSI, Michigan Consumer Index.   

 
Recommandations

  • Ne pas surestimer le rôle du sentiment dans les introductions en Bourse.
  • Utiliser avec prudence l’activité d’émission d’actions comme indicateur de la confiance des investisseurs. 
A Retenir

  • Dans la littérature classique, l’activité d’émission d’actions est considérée comme un indicateur de confiance des investisseurs.
  • En appliquant des mesures ciblées, propres à l’industrie étudiée, on constate que la part des sentiments s’efface au profit des fondamentaux. Plus les données micro-économiques sont précises, moins les sentiments entrent en jeu. 

Comment analyser les biais comportementaux au niveau collectif ?

D’après un entretien avec Elyès Jouini au sujet de son article « Behavioral biases and the representative agent », Université Paris-Dauphine, mars 2011. 
 
 Dans un groupe, il est important d’analyser et de décrire le comportement collectif qui résultera des différents comportements des individus. Grâce à l’utilisation d’un agent représentatif, c’est-à-dire d’un agent fictif à même de représenter une économie peuplée d’agents aux croyances et aux préférences hétérogènes, il est possible d’analyser les propriétés comportementales qui opèrent au niveau collectif. Telle est l’étude qu’ont menée Elyès Jouini et Clotilde Napp en tentant d’évaluer de quelle théorie (classique ou behaviorale) l’agent représentatif adopte les caractéristiques lorsque les agents classiques qui le composent sont hétérogènes.
 
L’économie et la finance comportementale ont largement documenté l’existence de biais dits comportementaux : sur-confiance, doute, sur-pondération des risques extrêmes, faible différenciation entre des risques dont la probabilité de réalisation est intermédiaire (loin de 0 et de 1)… Tous ces biais sont ignorés par la théorie classique et l’on pourrait presque dire que ces comportements ne sont considérés comme biaisés que parce qu’ils s’éloignent de ceux prévus par la théorie. En revanche, les travaux de finance comportementale montrent que la théorie comportementale (incluant ces biais) rend bien mieux compte des prix de marché que la théorie classique.
Ce travail montre que des biais comportementaux peuvent apparaître à un niveau collectif, même s’ils ne sont pas présents à titre individuel. Des individus conformes à la théorie classique peuvent engendrer, au niveau collectif, un comportement conforme à la théorie comportementale. L’ingrédient clé de ce paradoxe apparent est celui de l’hétérogénéité. C’est à partir de ce constat qu’Elyès Jouini et Clotilde Napp ont modélisé, via l’utilisation de l’agent représentatif, le comportement d’agents multiples aux croyances hétérogènes. Dans quelle mesure, l’agent représentatif d’une économie peuplée d’agents aux préférences pour le présent et aux croyances hétérogènes a-t-il des propriétés comportementales intéressantes ? 
Premier constat, dans le cas où les agents partagent la même croyance et les mêmes préférences temporelles, celles-ci sont également héritées au niveau de l’agent représentatif. C’est un résultat standard de la théorie classique. Cependant, lorsque les agents ont des croyances hétérogènes, l’agent représentatif va acquérir des propriétés comportementales qui étaient absentes au niveau individuel. Lorsque le groupe est peuplé à la fois d’agents pessimistes et d’agents optimistes aux influences égales, les auteurs ont relevé que l’agent représentatif n’était ni optimiste, ni pessimiste mais qu’il avait tendance à sur-pondérer les événements extrêmes (les très bons et les très mauvais états du monde) au détriment des événements médians. D’autre part, il aura tendance à faire preuve de doute (à être moins catégorique quant aux scénarios les plus probables) et ce, d’autant plus que l’hétérogénéité des croyances sera grande parmi les agents du groupe. 
 
Plus généralement, l’agent représentatif aura systématiquement tendance à surpondérer les très mauvaises et les très bonnes nouvelles
« Contrairement à la manière classique de représenter les croyances des agents mais conformément au paradigme comportemental, l’agent représentatif va avoir tendance à tordre les probabilités. En clair, il va surpondérer ce qui est aux extrêmes et sous-pondérer ce qui se trouve au centre de la distribution. Les très bons et les très mauvais cas font l’objet d’une grande attention. En revanche, ce qui se situe dans la moyenne attire moins l’attention », analyse Elyès Jouini. En fait, les échanges de risque qui s’établissent au sein du groupe font que les pessimistes se trouvent être déterminants dans la réaction collective face aux très mauvaises nouvelles. De même pour les optimistes face aux très bonnes nouvelles. Le comportement collectif a donc tendance à exagérer les extrêmes et lorsque le niveau de désaccord entre les agents augmente, l’intérêt du groupe va se trouver focalisé sur les extrémités et moins sensible aux variations de probabilité en milieu d’échelle.
Ainsi, on rejoint ici la théorie de la finance comportementale qui considère des agents surpondérant les risques extrêmes et le long terme (escompte hyperbolique). Un groupe constitué d’agents « classiques » mais hétérogènes se comporte comme un de ces agents au cœur de la finance comportementale.
 
Attraction et discriminabilité 
En partant de la terminologie, telle que formulée par les chercheurs américains Gonzalez et Wu, qui indique que l’attraction et la discriminabilité sont deux caractéristiques principales de la déformation des croyances qu’opère un agent comportemental, les chercheurs ont éprouvé ces deux notions au niveau d’un groupe d’agents « classiques » hétérogène ou encore de l’agent représentatif. On appelle discriminabilité le fait que les agents deviennent moins sensibles au changement de probabilités lorsqu’ils s’éloignent d’un point de référence. Au niveau agrégé, l’attraction est déterminée par le niveau moyen d’optimisme, alors que la discriminabilité est liée à l’hétérogénéité des croyances. Attraction et discriminabilité apparaissent donc, au niveau collectif, comme gouvernées par la moyenne et la variance des croyances individuelles. 
 
Méthodologie

Pour évaluer le comportement de l’agent représentatif, Elyès Jouini et Clotilde Napp ont analysé différentes situations. Dans ce travail de recherche, les chercheurs ont tenté de faire le lien entre deux théories. D’un côté, la théorie de la finance comportementale, développée au cours des vingt dernières années notamment par les chercheurs et prix Nobel Daniel Kahneman et Amos Tversky, met en avant les biais psychologiques dans les choix économiques. De l’autre, la théorie économique classique s’intéresse à des individus décrits comme rationnels. Pour mener leurs recherches, les auteurs ont conservé l’approche traditionnelle qui suppose que tous les agents ont une approche rationnelle. Néanmoins, le biais comportemental apparaît de manière endogène dans l’analyse dès que l’on suppose que les agents sont hétérogènes et qu’en particulier, ils n’attribuent pas tous les mêmes poids aux différents scénarios futurs possibles. Il est ainsi possible de faire la liaison entre l’approche traditionnelle et l’approche comportementale. 

 
Recommandations 

  • Au niveau du groupe, les risques extrêmes sont surpondérés. Contrairement à un individu seul, le groupe va mettre davantage de poids sur les événements à faible probabilité d’occurrence mais associés à des conséquences importantes.
  • Il est important de se poser la question de la justesse de la représentation, lorsqu’un individu seul est chargé de défendre les intérêts de plusieurs individus. On rejoint là des problématiques importantes de gouvernance et de la meilleure manière (rémunération, incitations) d’aligner l’intérêt d’un individu sur celui du groupe.
  • Lors de la réalisation de design de produits financiers, il est essentiel de savoir de quelle façon l’acheteur potentiel appréhende le risque, et donc de différencier individu seul et groupe d’individus. En particulier, les choix opérés par un couple ne sont pas de la même nature (en matière de prise de risque) que ceux opérés individuellement par chacun des membres du couple.
A Retenir 

  • Si, au sein d’un groupe, un agent comportemental est plus optimiste que tous les autres, et si un agent est plus pessimiste que tous les autres, alors l’agent représentatif se comporte comme le plus optimiste dans les très bons états du monde et comme le plus pessimiste dans les très mauvais. 
  • Attraction et discriminabilité sont, au niveau collectif, comme gouvernées par la moyenne et la variance des croyances individuelles. 

Biais de confirmation et cours de Bourse

D’après un entretien avec Sébastien Pouget et l’article « A mind is a terrible thing to change : Confirmation bias in Financial market » coécrit par Sébastien Pouget (Toulouse School of Economics and IAE de Toulouse), Julien Sauvagnat (ENSAE ParisTech) et Stéphane Villeneuve (Toulouse School of Economics), Mars 2012.  
 
La recherche en psychologie a montré que les individus avaient tendance à interpréter les informations qu’ils recevaient en fonction de leur a priori. Ainsi, une personne a deux fois plus de chances de prendre en compte les informations qui viennent confirmer son opinion que celles qui l’infirment. On appelle cela le biais de confirmation. Les investisseurs et les traders étant des individus comme les autres, ils sont eux aussi sujets à ce biais cognitif. Quelle est l’incidence de ce biais comportemental dans la formation des prix sur les marchés financiers ? C’est ce qu’ont analysé Sébastien Pouget, Julien Sauvagnat et Stéphane Villeneuve.
 
Les individus biaisés appréhendent la réalité par le prisme de leur intuition et tendent ainsi à analyser les informations qu’ils reçoivent dans le but de confirmer un ressenti. Dans la littérature classique en psychologie, il est prouvé que de nombreux individus sont sujets au biais de confirmation. « Le biais de confirmation est sans doute la notion la mieux connue et la plus admise des erreurs d’interprétation du raisonnement humain », notait Jonathan Evans dans son travail de recherche dès 1989. Les investisseurs et les traders ne sont certainement pas en reste. En modélisant de façon mathématique le biais de confirmation, Sébastien Pouget, Julien Sauvagnat et Stéphane Villeneuve vont analyser son incidence sur la formation des prix des actifs financiers. Dans un premier temps, les chercheurs ont étudié leur modèle avec des agents rationnels uniquement. Tous les agents ont alors la même opinion. Dans ce cas, on constate que les prix des actifs sont uniquement fonction des fondamentaux. 
 
Les opérateurs biaisés accordent plus de crédit aux informations qui confirment leur a priori
Lorsque des agents rationnels et des agents biaisés opèrent sur le même marché, les chercheurs observent l’émergence de plusieurs phénomènes. D’une part, le biais de confirmation augmente la volatilité des prix en Bourse. D’autre part, le biais de confirmation génère un « effet Momentum », effet d’élan, qui est cohérent avec les observations empiriques de Jegadeesh et Titman effectuées en 1993 et confirmées en 2001. Ainsi, lorsque les traders sujets au biais de confirmation deviennent optimistes, ils vont sur-réagir à l’annonce d’informations positives. On s’attend donc à ce que les prix aient tendance à augmenter. Le constat est le même dans le cas où les investisseurs biaisés deviennent pessimistes (par exemple après l’arrivée d’une très mauvaise nouvelle). Les opérateurs de marché mettront alors plus de poids sur les informations négatives. Plus l’erreur d’appréciation est importante, plus la durée pendant laquelle les traders conservent cette erreur est longue, contribuant à causer un « effet Momentum» durant lequel les prix ne correspondent plus aux fondamentaux. Dans le modèle, ce phénomène s’observe sur des horizons de court terme (en pratique, inférieurs à un an). 
Sur le long terme (en pratique des horizons de trois à cinq ans), le modèle met en avant un « effet reversal » ou effet de renversement. Lorsque les investisseurs biaisés poussent le prix des actifs trop haut ou trop bas, une correction de marché se produit ensuite, notamment au moment des publications de résultats. Lorsque la réalité apparaît, les prix reviennent vers les fondamentaux, générant ainsi l’effet de renversement.
 
Le biais de confirmation explique la formation de bulles et de krachs
Dans leur étude, Sébastien Pouget, Stéphane Villeneuve et Julien Sauvagnat montrent que la présence d’investisseurs sujets au biais de confirmation engendre des bulles et des krachs. L’arrivée d’informations initialement positives va amener les opérateurs vers l’optimisme incitant les investisseurs biaisés à une euphorie excessive qui va générer une bulle. Si une information négative s’abat sur le marché et pousse les investisseurs biaisés vers le pessimisme, on assiste au contraire à un krach avec des prix trop faibles par rapport aux fondamentaux.
« Pour l’investisseur, notre modèle permet de tirer des conclusions qui peuvent s’avérer utiles quant à la stratégie de gestion à adopter. En présence d’un marché biaisé avec un horizon de détention des titres à court terme, il est judicieux de surfer sur le biais de confirmation, en étant long tant que les investisseurs biaisés sont optimistes, et en étant court lorsqu’ils sont pessimistes. Dans le cas d’un programme de détention à long terme, en revanche, l’investisseur devra miser sur “l’effet de renversement” et donc adopter une stratégie contrariante », détaille Sébastien Pouget.
Pour aller plus loin, Sébastien Pouget, Julien Sauvagnat et Stéphane Villeneuve ont éprouvé leurs conclusions de façon empirique. Ce travail de terrain a été mené sur près d’un millier de titres boursiers sur une durée de 28 ans. Comme le montre le graphe, les résultats confirment le modèle théorique : les différences d’opinion, mesurées par la dispersion des prévisions des analystes financiers, sont particulièrement exacerbées après des hausses ou des baisses de prix marquées (qui correspondent à des accumulations d’informations positives et négatives).
 
Méthodologie

Dans un marché donné, opérateurs rationnels et biaisés coexistent. Par conséquent, les prix des actifs ne reflètent pas toujours leur valeur réelle. La présence de comportements biaisés va tirer les prix à la baisse ou à la hausse au-delà de ce qu’aurait fait la seule analyse des fondamentaux. Dans leur travail de recherche, Sébastien Pouget, Julien Sauvagnat et Stéphane Villeneuve se sont employés à analyser l’impact du biais de confirmation sur les marchés financiers. Pour ce faire, ils ont modélisé de façon mathématique ce biais cognitif. Ils ont ensuite identifié son impact sur la formation des prix et analysé l’influence de ce biais sur la volatilité des cours, les volumes de transaction, les rendements et les performances des opérateurs de marché. 

 
Recommandations

  • Dans un marché donné, il est possible d’estimer dans quelle direction s’oriente le biais de confirmation (positif ou négatif).
  • En fonction de son horizon de détention des titres (court ou long terme), l’investisseur peut savoir s’il est plus judicieux d’aller dans le sens du marché ou d’adopter une stratégie contrariante. 
A Retenir

  • Les opérateurs biaisés vont avoir tendance à sur-réagir aux informations qui confirment leur a priori.
  • Le biais de confirmation va être à l’origine de différences d’opinions entre les opérateurs.
  • Les bulles apparaissent dans les périodes où les opérateurs sujets au biais de confirmation sont optimistes. 
  • La présence d’opérateurs biaisés dans un marché donné va avoir tendance à amplifier la volatilité des cours et à créer un « effet Momentum ».

Les médias ont-ils une influence sur les cours de Bourse ?

D’après un entretien avec Marie-Aude Laguna et l’article « Unexpected Media Coverage and Stock Market Outcomes : Evidence from Chemical Disasters », Marie-Aude Laguna, Université Paris-Dauphine.  
 
Depuis des décennies, de nombreuses entreprises cotées sont impliquées dans des accidents industriels graves. Ces événements font immédiatement l’objet d’un nombre important d’articles dans la presse généraliste et spécialisée. Ces publications ont-elles une influence sur la valeur des titres ? Quel est l’impact de la couverture médiatique d’une catastrophe sur le cours de Bourse des entreprises responsables de l’événement ? Pour le savoir, Marie-Aude Laguna a analysé les performances d’une quarantaine de multinationales responsables d’une ou plusieurs explosions sur des sites pétrochimiques depuis 1990.
 
Contrairement à l’annonce de publications de résultats ou de révisions à la baisse des perspectives, « les accidents sont des événements dont la survenue est exogène au choix de l’entreprise et ne génèrent pas de rumeur de marché avant leur annonce. Nous sommes dans un cas intéressant où les investisseurs ne sont pas nécessairement beaucoup mieux informés que les médias », détaille Marie-Aude Laguna. 
Dans un premier temps, Marie-Aude Laguna a analysé le nombre d’articles de presse parus à la suite d’un accident industriel. Puis, elle les a mis en relation avec l’évolution du cours de Bourse de la société concernée. 
Cette étude s’inscrit dans une littérature académique traitant du rôle des médias sur les marchés boursiers. Lily Fang et Joël Peress de l’INSEAD ont, par exemple, montré que les entreprises qui faisaient l’objet d’une faible ou d’une inexistante couverture médiatique présentaient des rendements espérés plus élevés, attribuables à une prime de risque informationnel. Joël Peress a montré que les annonces de résultats relayées par la presse étaient mieux incorporées dans les prix boursiers et induisaient une augmentation des volumes de transaction. 
 
Un nombre important d’articles de presse rassure les investisseurs
Dans son étude sur les accidents industriels, Marie-Aude Laguna constate que la couverture médiatique peut avoir un impact sur la perception des risques des investisseurs. En effet, après prise en compte de la gravité intrinsèque de l’accident (par exemple, le nombre de blessés), plus le nombre d’articles parus est important, plus la baisse du prix du titre est limitée. L’ampleur de la couverture médiatique d’une catastrophe industrielle a donc une incidence positive sur le cours de bourse de l’entreprise concernée. Chaque article paru suite à l’accident atténue la chute du cours de bourse de 0,09-0,16 %. Ce résultat est surprenant dans la mesure où la couverture médiatique constitue a priori un facteur aggravant, notamment parce qu’il impliquerait des conséquences plus dramatiques.
En outre, la taille de l’entreprise ou la liquidité du titre n’affectent pas de manière substantielle le sens des résultats. Les tests de robustesse (par sous-échantillonnage) indiquent que, quelle que soit la taille de l’entreprise, un nombre élevé d’articles de presse diminue l’incidence de l’accident sur le cours de bourse. Second constat : l’incidence des médias se joue dans les premiers jours qui suivent l’accident : « Il n’y a pas de réaction décalée dans le temps. La réponse des prix imputable aux articles de presse se concentre sur les premiers jours de l’annonce», détaille Marie-Aude Laguna. Cela suggère que l’effet est conforme à l’hypothèse d’efficience des marchés et n’est pas imputable à un phénomène de sous-réaction.
L’une des hypothèses explorées par la chercheuse dans son étude a trait au rapport des investisseurs à l’incertitude : « une information recoupée par les médias permet aux investisseurs d’évaluer de manière plus sereine les conséquences financières de l’accident ; alors que l’absence d’information publique peut compliquer l’évaluation des risques, en favorisant les fausses rumeurs par exemple. », explique la chercheuse.
 
Le recours à des mots ambigus aggrave les pertes boursières
Dans un deuxième temps, et afin de corroborer cette hypothèse, Marie-Aude Laguna s’est attachée à mesurer l’impact de la précision de l’information délivrée par les journalistes sur l’évolution de la valeur des titres. Pour ce faire, elle a relevé les terminologies approximatives et le vocabulaire ambivalent employés dans les articles de presse. Elle constate alors que, plus le nombre de mots ambigus est important, plus le cours de Bourse chute. Pour résumer, les investisseurs n’aiment pas l’incertitude inhérente à la survenue d’accidents industriels. En d’autres termes, une information claire et précise rassure les investisseurs et a donc un effet modérateur sur l’évolution des cours de Bourse. Ce résultat a des implications pratiques en termes de communication de crise par les grands groupes. 
Ce travail soulève un certain nombre d’interrogations, quant aux différences sectorielles et régionales notamment, que l’auteure développe actuellement dans le cadre d’un travail commun avec Joël Peress de l’INSEAD. 
 
Méthodologie

Via Factiva, Marie-Aude Laguna a recensé plus de 200 accidents pétrochimiques survenus depuis 1990. La chercheuse a alors étudié la corrélation entre couverture médiatique et évolution des cours de Bourse de façon qualitative grâce à des algorithmes d’analyse de contenu textuel, puis économétrique, selon la méthode des simples et doubles moindres carrés ordinaires. 

Dans cette analyse, Marie-Aude Laguna a pris en compte différentes variables  explicatives telles que le nombre et la précision des mots employés par les journalistes ou la source de l’information ; et des variables instrumentales  à l’instar de la pression médiatique (place accordée à d’autres événements majeurs dans l’actualité), et l’historique de la couverture médiatique de l’entreprise.
 
Recommandations

  • Les catastrophes industrielles sont des évènements particuliers dans la vie des entreprises induisant des effets contrastés sur les marchés boursiers.
  • Une information claire et précise, relayée par différents médias, peut dans certains contextes éviter une réaction exagérée de la part des investisseurs. A l’inverse, l’utilisation de mots ambigus par les médias peut générer du doute chez les investisseurs et induire une chute boursière.
  • Les entreprises n’ont pas nécessairement à craindre une couverture médiatique intensive en cas de crise ou d’évènement négatif.
A Retenir

  • Plus la couverture médiatique de l’accident est importante, moins la chute du prix de l’action est élevée. L’analyse révèle que chaque article de presse paru après l’accident diminue la chute de l’action de 0,09-0,16% (selon la méthode des simples et doubles moindres carrés ordinaires).
  • La précision du vocabulaire a tendance à rassurer les investisseurs. Plus les mots employés dans les articles de presse sont ambigus, plus les cours de Bourse baissent.

Quels choix d’allocations d’actifs pour les agents averses à l’ambiguïté ?

D’après un entretien avec Christian Gollier et l’article « Does ambiguity aversion reinforce risk aversion ? Applications to portfolio choices and assets prices » Christian Gollier, Review of Economic Studies 78 (4), 1329-1344..
 
Comment les investisseurs prennent-ils leurs décisions lorsqu’ils ne sont plus capables d’évaluer les informations qui leur parviennent ? Ce type de situation advient souvent sur les marchés financiers. Les cas d’école sont nombreux dans l’histoire de la finance. L’exemple le plus récent est, sans conteste, la panique qui a fait suite à la chute de Lehman Brothers en septembre 2008. La « fuite vers la qualité » qui s’en suivit a semblé incompatible avec les fondamentaux, sans lien avec la réalité des risques quantifiables. 
 
L’aversion à l’ambiguïté est une peur des situations dans lesquelles les individus ne peuvent plus déterminer leur chance de gagner ou perdre avec une précision suffisante. Comment les investisseurs averses à l’ambigüité doivent-ils gérer leur portefeuille ? Comment ces comportements affectent-ils les prix de marché et leur évolution ? Telles sont les questions étudiées dans le travail de recherche de Christian Gollier.
 
De l’espérance d’utilité à l’aversion à l’ambiguïté
Dans son article, Christian Gollier a commencé par analyser les grands paradigmes présents dans la littérature classique afin de définir la notion d’aversion à l’ambiguïté. La théorie d’espérance d’utilité (EU) de von Neumann et Morgenstern (1944) fondée sur l’aversion au risque a conduit à la théorie moderne de la finance, de Markowitz (choix de portefeuille) à Lucas (évaluation des actifs). Quelques années après, le chercheur John Savage (1954) a généralisé cette théorie EU en montrant que si les investisseurs ne peuvent pas baser leur optimisation sur des probabilités objectives, ils devraient utiliser des probabilités subjectives. Ils devraient donc être neutres face à l’ambiguïté affectant les probabilités. En 1961, Ellsberg va mettre en évidence le fait que beaucoup d’individus ne se comportent pas selon ces préceptes. Ellsberg montre qu’ils préfèrent le risque de perdre 100 avec probabilité ½ que d’affronter l’incertitude de perdre 100 avec une probabilité inconnue mais d’espérance ½. Tout se passe comme s’ils surpondéraient la probabilité des scénarios les moins favorables. Ils sont averses à l’ambigüité. Christian Gollier rappelle « qu’il s’agit bien d’un concept nouveau, différent de l’aversion au risque, puisqu’il se rapporte à une incertitude sur les probabilités plutôt que sur les rendements ». 
Christian Gollier explore les conséquences de cette hypothèse nouvelle sur les stratégies d’investissement et sur les prix d’équilibre des actifs financiers. « Dans la littérature classique, on raisonne comme si tout le monde pouvait prendre une décision en disposant d’une information parfaite sur les probabilités. Nous montrons ici que ce paradigme économique dans le contexte des marchés financiers est irréaliste », prévient le chercheur. 
Christian Gollier éprouve son modèle, dans lequel des agents averses au risque et à l’ambiguïté doivent déterminer une stratégie d’investissement en incertitude. « Ce modèle est aussi utile pour réfléchir à l’application du principe de précaution dans les domaines de l’énergie (ambiguïté sur la probabilité de catastrophe nucléaire) et de l’environnement (ambiguïté sur les conséquences des OGM), par exemple », indique le chercheur.
 
Quel est le comportement des preneurs de décision face à l’incertitude ?
Premier constat, l’aversion à l’ambiguïté conduit les investisseurs à un certain pessimisme. Ce pessimisme va, en général, avoir pour conséquence de diminuer la demande pour les actifs les plus incertains, comme si l’aversion au risque avait augmenté. En période d’incertitude, les investisseurs préfèrent se réfugier sur des actifs dont ils connaissent mieux la distribution des rendements potentiels. On assiste alors à une fuite vers la qualité. 
Mais ceci n’est pas vrai dans tous les cas. Pessimisme et aversion pour le risque sont des concepts différents, avec des conséquences sur les comportements qui sont proches mais pas identiques. Cela conduit à certains paradoxes. Dans certains cas, en effet, l’aversion à l’ambiguïté augmente la demande pour les actifs ambigus ! « Heureusement, je montre que ces paradoxes ont peu de chances de se produire dans le monde réel », explique le chercheur. Il y a donc de fortes chances que ce nouveau concept d’aversion à l’ambigüité conduise à une réduction importante de la demande d’actifs, en particulier en période d’incertitude radicale, comme ce fut le cas en 2008-2009. 
Pour conclure, Christian Gollier souligne que cette nouvelle théorie pourrait expliquer pourquoi si peu de ménages investissent en actions, et pourquoi la prime de risque « actions » a été si élevée depuis plus d’un siècle.
 
Méthodologie

L’ambigüité est un « risque sur le risque » : le décideur ne connaît pas la vraie distribution de probabilité, mais fait plutôt face à un ensemble de distributions plausibles de probabilité. Christian Gollier utilise un modèle alternatif à celui de l’espérance d’utilité proposé par Klibanoff, Marinacci et Mukerji (2005), qui suit une procédure en deux étapes, et qui tient compte de ce dédoublement du risque. Premièrement, pour chaque distribution plausible de probabilité, le décideur calcule un gain équivalent certain en utilisant cette distribution avec la théorie EU. S’il n’y avait pas d’incertitude sur la distribution, c’est cet équivalent certain que le décideur chercherait à maximiser. Mais il fait face à plusieurs distributions plausibles. C’est pourquoi il va agréger les différents gains équivalents certains, ainsi obtenus, en surpondérant ceux d’entre eux qui sont les moins favorables, d’où l’aversion à l’ambigüité. Techniquement, est, à nouveau, utilisé un critère EU, selon la théorie de von Neumann et Morgenstern. Christian Gollier étudie ensuite l’impact d’une augmentation de l’aversion à l’ambiguïté sur la demande d’actifs et sur leur prix d’équilibre. 

 
Recommandations

  • L’impossibilité d’estimer des probabilités rend les individus plus frileux à la prise de risque. Cela réduit leur demande d’actifs financiers ambigus, et augmente la prime de risque associée à ces actifs. Globalement, cela rend la société plus pessimiste et moins entreprenante.
  • Il est socialement désirable d’améliorer l’information sur les risques.
A Retenir

  • Dans les périodes d’incertitude, les agents économiques vont surpondérer les événements défavorables.
  • Lorsque les investisseurs sont sujets au doute, il y a une nette tendance à la fuite vers les actifs de qualité, au détriment de ceux qui présentent une ambiguïté importante sur les probabilités des différents taux de rendement possibles.
  • Néanmoins, dans certains cas, les investisseurs averses à l’ambiguïté peuvent opter pour des choix stratégiques risqués. L’aversion à l’ambiguïté engendre, en général, une augmentation de la prime de risque, ce qui peut expliquer pourquoi la prime de risque « actions » a été si élevée au XXe siècle.

L’aversion au risque nous rend-elle pessimistes ?

D’après un entretien avec Elyès Jouini et l’article « Are risk averse agents more optimistic ? A Bayesian estimation approach » réalisé par Selima Ben Mansour, Elyès Jouini, Jean-Michel Marin, Clotilde Napp et Christian Robert. Publication juin 2007, CEREMADE, UMR-CNRS, Université Paris-Dauphine.   
 
Les prix observés sur les marchés ne reflètent pas toujours la valeur réelle des actifs financiers. Pour résoudre l’énigme financière de la prime de risque et du taux sans risque, des chercheurs de l’Université Paris-Dauphine se sont appliqués à répondre à la question suivante : existe-t-il une corrélation entre aversion au risque et prime de risque ? Est-il possible de mettre en évidence un biais comportemental optimiste (ou pessimiste) ? Dans ce cas, le biais comportemental est-il corrélé au rapport au risque (tolérance ou aversion) ?
 
Dans quelle mesure, les agents, face à une opportunité d’investissement, tendent-ils à sous-estimer leur probabilité de gain ? Pour répondre à cette question, Elyès Jouini et Clothilde Napp ont soumis 1 536 individus à un questionnaire. Les sondés étaient invités à se prononcer sur leur probabilité de gains dans un jeu. Une pièce est lancée dix fois de suite. Lorsque face apparaît, le participant reçoit dix euros. Dans le cas contraire, il ne perçoit rien. Il était alors demandé aux répondants combien ils estimaient, a priori, pouvoir gagner, en considérant « leur propre expérience et leur chance ». « L’intérêt d’un tel jeu est d’abord que les loteries sont souvent considérées comme une façon simple et relativement juste de représenter les opportunités d’investissement. En particulier, loteries et opportunités d’investissement ont en commun les propriétés essentielles suivantes : les individus n’ont pas d’incidence sur les résultats et ces résultats ont une influence directe sur leur bien-être », détaille Elyès Jouini.
 
Une tendance naturelle au pessimisme
A priori, si les individus sondés ne sont ni optimistes, ni pessimistes, mais raisonnent sous la probabilité objective, la probabilité de tirer face devrait être d’une chance sur deux, soit cinq chances sur dix, dans le cas des dix lancers.
Or, les résultats de l’enquête indiquent, qu’en moyenne, les individus estiment que la pièce tombera 3,9 fois sur dix sur le côté face.  Il y a donc une tendance nette des individus au pessimisme lorsqu’ils estiment leurs possibilités de gains. On note également que, lorsque l’expérience est réalisée sans objectif de perte ou de gain, les sondés sont presque rationnels, puisque non seulement ils estiment, en moyenne, leur probabilité de gain à 4,9 sur dix, soit pratiquement une chance sur deux, mais de plus 95% d’entre eux répondent exactement 5.
 
Des différences notables, selon les catégories sondées
Autre constat, certains individus sont plus pessimistes que d’autres. C’est le cas notamment des femmes qui estiment, en moyenne, leur probabilité d’engranger des gains inférieurs à celle des individus de sexe masculin. L’étude met également en avant que, plus un individu est âgé, plus il est pessimiste.
 
Une corrélation entre pessimisme et tolérance au risque
Dans un deuxième temps, le travail s’est porté sur le lien entre optimisme et tolérance au risque. Il s’agit alors de sonder l’existence d’une corrélation entre le pessimisme ou l’optimisme des agents et la tolérance ou l’aversion au risque. Il est alors demandé aux répondants quel prix maximum ils seraient prêts à payer pour participer au jeu pile ou face en dix lancers. Il s’agit ici d’évaluer la prime de risque que les répondants sont à même de payer. Une analyse statistique permet ensuite de pondérer aversion au risque et pessimisme, donnant ainsi une évaluation de la volonté des sondés à participer au jeu en connaissance de leur risque de perte. Pour obtenir un chiffre comparable à la première probabilité (3,9 chance sur dix de gagner), les chercheurs réalisent une moyenne pondérée du risque que les répondants sont prêts à prendre. On constate alors que la moyenne pondérée des niveaux de pessimisme s’élève à 3,2, contre 3,9 pour la moyenne non pondérée. En clair, lorsque l’on met un individu en situation d’évaluer la prime de risque, il n’opte pas pour une probabilité objective, mais surpondère le risque et le surpondère d’autant plus qu’il est tolérant au risque. Il existe donc une corrélation entre pessimisme et tolérance au risque. Cette corrélation est importante car les auteurs montrent également que le niveau de pessimisme pertinent, au niveau agrégé, n’est pas le pessimisme moyen mais la moyenne pondérée par les tolérances au risque des niveaux de pessimisme individuels. 
En règle générale, dans les processus de décision, les individus les plus pessimistes  optent pour des alternatives moins risquées. Pour Elyès Jouini, «le pessimisme et la corrélation mis en lumière explique les rendements excessifs sur les actifs risqués. En clair, il n’y a pas plus de risque dans l’économie, mais, au niveau agrégé, le niveau de risque est surestimé. Ainsi, l’agent moyen aura un comportement prudent face aux actifs dont ils surestiment les risques et pour lesquels il va donc exiger une prime de risque plus élevée. C’est ce qui explique, par exemple, qu’en règle générale, le rendement des actions soit souvent trop élevé par rapport à ce que prédit la théorie classique et, qu’à l’inverse, le rendement des obligations soit souvent trop faible par rapport à ce que prédit la théorie classique ». 
 
Méthodologie 

Choisis au hasard, 1 536 étudiants, se voient poser la question suivante : « Une pièce est lancée dix fois de suite. Vous remportez 10 €, à chaque fois que la pièce tombe sur le côté face. En tenant compte de votre propre expérience et de votre chance, combien de fois estimez-vous que la pièce retombe sur face ? »  L’expérience est ensuite réitérée en segmentant les populations sondées pour obtenir des résultats par sexe et par tranche d’âge. Dans un troisième temps, on demande aux répondants la somme maximale qu’ils seraient prêts à payer pour participer aux dix lancers de pièce. L’analyse statistique est réalisée selon la méthode Bayesienne. Une analyse MCMC (Markov Chain Monte Carlo) est également utilisée pour observer la distribution des différentes caractéristiques lorsqu’il est demandé aux sondés le prix maximum qu’ils seraient prêts à payer pour participer au jeu. 

 
Recommandations

  • L’aversion au risque, le pessimisme et la corrélation entre les deux sont des éléments majeurs à prendre en compte pour comprendre le fonctionnement des marchés.
  • Il est ainsi essentiel de comprendre, que dès lors que des enjeux de pertes ou de gains entrent en compte, il existe un biais pessimiste a priori chez les individus. 
  • Ce biais pessimiste est de plus négativement corrélé à  l’aversion au risque. 
A Retenir

  • Il y a une tendance naturelle au pessimisme chez les individus. Dès qu’un objectif de perte ou de gain entre en jeu, les individus n’appliquent pas la probabilité objective, mais surpondèrent leurs chances de pertes.
  • Certains individus sont plus pessimistes que d’autres, c’est le cas notamment des femmes et des personnes âgées.
  • Il existe une corrélation entre pessimisme et tolérance au risque.