Matinale « Philosophie et finance » de Christian Walter

en partenariat avec la Chaire Ethique & Finance du Collège d’Etudes Mondiales

Plongés dans l’incertitude économique et financière, les gérants de portefeuille professionnels doivent être capables de prouver leur professionnalisme en mettant en scène leur savoir-faire. Pour cela, ils ont dû endosser un nouveau rôle, une « représentation » de leur savoir-faire canoniquement définie par le modèle d’évaluation des actifs financiers (Capital Asset Pricing Model,  CAPM). En jouant sur les deux sens français et anglais du mot « performance », nous dirons dans cette séance que cette mise en scène imposée, le « jeu » du gérant, s’apparente à une performance au sens théâtral du terme, et que la qualité de la performance (dans les deux sens) devient un élément clé de l’appréciation de la valeur ajoutée de la gestion.

 

Le jeu du gérant est aussi sa marge de manœuvre par rapport à des contraintes normatives : jouant son professionnalisme, il dispose d’un jeu par rapport à une normativité construite par des portefeuilles cibles désignés comme benchmarks. Issus de l’application de la théorie financière des années 1950, les benchmarks sont des bornes (sens initial anglais) qui cadrent le jeu du gérant, dont la performance sera appréciée par sa capacité à bien jouer de et dans ces bornes. La gestion professionnelle est une gestion bornée, dans l’exact sens où le professionnalisme, selon la finance néoclassique, est mesuré à l’aune de la piste que le gérant suit de borne en borne, de la trace (track) qu’il laisse de la trajectoire qu’il parcourt (track record), son parcours théâtral. Les techniques de mesure chiffrée et mathématisée de la performance de la gestion (les statistiques des résultats) qui veulent « faire science » développent des outils mathématiques construits par la représentation du CAPM de l’équilibre. C’est ainsi que le modèle CAPM a changé le monde des professions financières de la gestion d’actifs. Le théâtre de la gestion est la scène du CAPM.

 

A partir de cet exemple concret, cette première séance permettra d’introduire plus généralement à la manière dont les théories transforment les pratiques professionnelles. A partir des travaux d’Akrich, nous présenterons comment une théorie « écrit » des scénarios et détermine les « rôles » à jouer par chacun de ceux qui l’appliquent. En appliquant cette approche à l’analyse de la gestion des portefeuilles, nous verrons que, comme pour un script théâtral, le modèle CAPM définit un cadre de l’action et les personnages qui vont évoluer dans ce cadre : gérants de portefeuille, analystes financiers, mesureurs de performance, contrôleurs des risques, régulateurs.

 

Nous terminerons en montrant comment ce modèle transporte dans le monde professionnel une théorie plus ancienne que le CAPM, la théorie des moyennes de Quetelet. Ce qui explique la difficulté pour la profession de gestionnaire de s’affranchir de la mise aux normes par les moyennes, et conduit les gestions « autres » (alternative asset management) à se définir comme des contre-cultures par rapport au CAPM.

 

Référence bibliographique : C. Walter, « La gestion indicielle et la théorie des moyennes », Revue d’économie financière, 79 (2), 113-36 (2005). DOI : 10.3406/ecofi.2005.3974

En ligne sur Persée : www.persee.fr/doc/ecofi_0987-3368_2005_num_79_2_3974

 

 

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Lieu

Institut Louis Bachelier Palais Brongniart - 16 Place de la Bourse, Paris, 75002 France